Berlin 1885, La ruée sur l’Afrique

Joël Calmettes, 2010 (France)



Le documentariste Joël Calmettes s’est intéressé plusieurs fois par le passé à l’Afrique ou à la politique [1]. Pour raconter la conférence coloniale de Berlin de 1884-1885, il a directement puisé dans les archives diplomatiques que des documentalistes se sont chargés de retrouver pour lui à Coblence.

La reconstitution proposée est sobre, limitée au décor d’une salle de réception et au groupe de plénipotentiaires. Le documentaire-fiction se base sur les comptes-rendus des débats et sur les cartes (même si celles-ci n’apparaissent pas clairement sauf à la toute fin du film). Les explications ponctuelles des historiens et de brèves précisions en voix off complètent cet éclairage sur la conférence [2]. Berlin 1885 nous donne aussi à voir les coulisses de ce petit théâtre des négociations (les communications des intervenants avec leur pays, leurs stratégies et directives).

Si le film a pour sous-titre « La ruée sur l’Afrique », il entend pourtant bien contredire l’idée fausse selon laquelle le partage de l’Afrique entre les différentes puissances européennes et l’Empire ottoman aurait effectivement eu lieu au terme des débats initiés par Bismarck. The scramble for Africa avait débuté bien avant. L’occupation occidentale du Dark continent s’intensifie toutefois à partir de 1882, au moment de l’instauration d’un protectorat britannique en Égypte [3]. Les annexions de territoires sur ce continent se font encore tout au long de la décennie suivante. La conférence de Berlin permet surtout aux Occidentaux de démêler quelques nœuds, de ratifier de nouveaux accords et de revaloriser l’occupation en Afrique [4]. 1885 marque en cela une étape importante de l’histoire coloniale.

Parmi les préoccupations premières, la définition d’un territoire dévolu dans le bassin du Congo au développement d’un « commerce universel » a nourri les luttes de souveraineté entre Occidentaux. Au Nord, les Français accepteraient-ils d’ouvrir une portion du territoire gabonais aux marchands de tous pays ? Au Sud, fallait-il étendre l’espace jusqu’à l’Angola portugais ? Quid du Katanga que Léopold II roi des Belges s’octroie finalement sur la carte d’un trait de crayon ? D’autres questions sont posées un peu plus rapidement comme celle des spiritueux et de leur ravage au sein des populations noires (qui n’aboutit à aucune décision) et celle de l’esclavage. Sur ce point, il est décidé que l’espace de commerce international délimité dans la région du Congo et traversant l’Afrique centrale d’Est en Ouest sera interdit à la traite négrière. Mais il est très clair qu’à côté des questions territoriales, l’entreprise philanthropique ou la « mission civilisatrice » ne sont que des prétextes sans valeur.

Dans son ouvrage le plus célèbre, Yves Lacoste a écrit : « La géographie est d’abord un savoir stratégique étroitement lié à un ensemble de pratiques politiques et militaires » [5]. Le documentaire de Joël Calmettes qui insiste sur l’intrication des enjeux coloniaux et commerciaux, sur les négociations quant aux tracés des frontières, qui met en scène l’explorateur Stanley (adepte d’une géographie d’aventures et dont la violence des expéditions avaient fait grand bruit), rappelle également très bien les centres d’intérêt de la géographie à la fin du XIXe siècle.

Partant des sources et de leur analyse, s’enquérant auprès d’historiens et de spécialistes, Joël Calmettes fait donc un travail plutôt rigoureux et pédagogique. Berlin 1885 a été projeté au Fespaco 2011.




[1] Le fleuve Niger (1995), Lionel Jospin, coulisse d’une victoire (1997), Nelson Mandela au nom de la liberté (2009)… Joël Calmettes dirige avec Erik Orsenna Chiloé Productions qui distribue ses films depuis 2003.
[2] Sur le dvd, le docu-fiction est complété de 45mn d’entretiens avec les spécialistes, chacun s’exprimant sur des points précis : L’accord secret entre Léopold II et Bismarck, Stanley et Léopold II, Frontières et sphères d’influence, Léopold II au Congo (Jean Luc Vellut, Université Catholique de Louvain) ; Les oppositions locales au projet de Lopold II, La politique de Léopold II, Les frontières du Congo (Isidore Ndaywel, Université de Kinshasa) ; L’influence de Stanley sur l’image de l’Afrique, Les conférences de Stanley, Stanley stratège médiatique (Mathilde Leduc-Grimaldi, Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren) ; La naissance de l’anthropologie, Raciologie et idéologie, Les zoos humains (Gilles Boëtsch, CNRS).
[3] Samir Saul, « L’essor impérial » dans Dominique Barjot et Charles-François Mathis, Le monde britannique (1815-1931), Paris, Armand Colin, 2009, p. 197-198.
[4] Même si les diplomates ne connaissaient l’Afrique qu’à travers des récits d’aventures et des cartes peu précises, même si les Africains eux-mêmes étaient écartés des discussions.
[5] Yves Lacoste, La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Paris, Maspéro, 1976 (première éd.).

Article paru sur Cinetrafic (mars 2011).

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