Visions

Yann Gozlan, 2023 (France)

LA SPIRALE ÉTAIT PRESQUE PARFAITE

Visions est ce qu’il annonce, des visions, des flashs de mémoire, comme les réminiscences de films passés, une forme plus que toute autre chose. Le film est loin d’être déplaisant et l’on peut facilement se complaire dans les références que son réalisateur nous sert. Dès le début, le générique nous happe d’ailleurs de ses iris étranges et superposés en fondus enchaînés jusque dans le creux noir en leur centre, des iris filmés comme les bords d’un cratère fantastique aux textures et aux couleurs capricieuses dans lequel on se voit déjà tomber. Aux yeux s’ajoutent une spirale en amorce et une ligne mélodique « herrmannienne » répétée et lentement enroulée, traçant en l’espace de quelques secondes des liens évidents avec Sueurs froides (1958) d’Alfred Hitchcock.

La suite joue d’un effet de cumul : la Riviera, la blonde et la brune, des soupçons jetés sur tous et sur toutes, notamment les plus proches, un meurtre passionnel et des chignons en pagaille. Déclinaisons de l’iconique et vertigineux chignon de Kim Novak qui incarnait Madeleine dans Vertigo, les chignons de Gozlan sont sophistiqués ou négligés, à trois boucles ou en courbe simple, nœuds capillaires à ce point nombreux qu’ils se succèdent parfois les uns aux autres en d’inquiétants faux raccords. Hitchcock est ainsi sur-cité (et pas seulement Vertigo, on s’épuiserait à nommer tous les chef-d’œuvres du maître en référence). Puis, lorsque le voyeurisme se prolonge sur les épaules et les gorges dénudées, c’est De Palma qui prend le relais.

Toutefois, à l’aide d’un traitement médicamenteux pas des plus conseillés, plus un sommeil aussi bien découpé que Janet Leigh sous la douche de Psychose (1960), Yann Gozlan efface les repères de son personnage principal et nous fait progressivement glisser dans le fantastique. Estelle (Diane Kruger), pilote de ligne sur vols long-courriers, passe d’une vie conditionnée par un métier exigeant et réglée quasi scientifiquement (chaque activité ou geste de son quotidien est minuté, mesuré et rigoureusement contrôlé) à un relâchement progressif, hallucinatoire et mortifère auquel son mari, Guillaume (Mathieu Kassovitz), ne pourra fatalement qu’être qu’associé.

L’étrange vécu par Estelle contamine le réel mais le relâchement qui en est la cause touche peut-être plus vite le film qui se déroule sous nos yeux. Car ce qui fait d’abord défaut ici, c’est l’écriture. L’obsession pour Ana (Marta Nieto) qui resurgit dans la vie d’Estelle ne nous paraît pas pleinement compréhensible (puisque Estelle a tout pour elle) et sa soif soudaine de liberté trouve difficilement une justification convaincante (à moins de sous-estimer une libido brusquement réveillée). De même, l’escale à Tokyo n’ajoute pas grand chose à part une drôle de scène avec Amira Casar en galeriste ultra moderne. Pour favoriser le soupçon, Yann Gozlan multiplie les fausses pistes et si les motards au loin pourraient s’avérer menaçants, le chien-loup qui sort de nulle part et grogne après Estelle fait partie des incongruités dont le scénario a manqué d’être délesté.

Invoquant Christopher Nolan pour faire rentrer le cube dans le rond ou M. Night Shyamalan pour twister son final, le réalisateur de Boîte noire (2021) tord le scénario pour fermer très artificiellement son récit en une boucle de Moebius qui finit de dérouter. Visions me rappelle Le piège de Lovecraft d’Arnnaud Delalande (Grasset, 2014), un texte très référencé, comportant par endroits des maladresses, mal fagoté dans l’ensemble et pourtant divertissant. Dans le film comme dans le roman, le spectateur (ou le lecteur) est enfermé, se retrouvant à nouveau, alors qu’il voit les dernières minutes (ou tourne les dernières pages), dans la même situation qu’au début. Mais une fois ces œuvres finies, il n’y a rien à contempler, aucune structure cohérente, nulle forme révélatrice, et dans le cas de Visions, un film certes peu ordinaire, mais encore inabouti.

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