La forteresse noire (The Keep)

Michael Mann, 1983 (États-Unis)

Des nazis investissent un village roumain et son ancienne forteresse, réveillent un pouvoir mystérieux qui les dépasse et qu’un être étrange venu d’ailleurs s’en vient combattre. Qu’il est enthousiasmant de tomber sur ce genre de films. On a toujours un peu l’impression de dégoter une pièce manquante dans un genre et une époque cinématographique que l’on croyait bien connaître. Car le deuxième film de Michael Mann adapté du roman de F. Paul Wilson (publié en 1981) a bien des traits communs avec les films fantastiques (américains) sortis en ce début des années 1980.

La forteresse noire se veut ambitieux. Michael Mann profite de la pleine confiance de la Paramount* et s’entoure de techniciens de talent : le directeur de la photographie Alex Thomson (qui avait travaillé sur Excalibur de John Boorman, 1981, et qui jusqu’aux années 2000 sera aux côtés de réalisateurs de renom), John Box aux décors (Le Convoi de la peur de William Friedkin,1977, dont s’inspire d’ailleurs Mann*), Wally Veevers aux effets visuels (Excalibur à nouveau, Saturne 3 de Stanley Donen et John Barry, 1980, Superman de Richard Donner, 1978 et même 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dix ans plus tôt).

Peu d’action, La forteresse noire privilégie l’ambiance, les ombres et les énigmes et c’est son point fort. La bande son de Tangerine Dream accompagne alors fort bien les ténèbres de ce bastion à flanc de montagne, ainsi que la peur grandissante qu’il provoque chez ses hôtes. La photo et certains effets comme les brumes épaisses rappellent Les prédateurs de Tony Scott (1983), ou même Highlander de Russell Mulcahy (1986). Comme dans Les Aventuriers de l’arche perdue (Steven Spielberg, 1981), l’histoire mêle ésotérisme et nazisme et expose une lutte entre le Bien et le Mal qui dépasse l’entendement humain. Sur le modèle des aventures d’Indiana Jones, un intellectuel sonde les mystères du lieu autant qu’il les nourrit. Dans le film de Mann, le Dr Theodore Cuza (Ian McKellen) est un professeur médiéviste, connaisseur de langues anciennes, que le SS Erich Kaempffer (Gabriel Byrne) fait sortir du camp de concentration où il était enfermé avec sa fille (ils sont juifs) et qui est dépêché jusqu’à la forteresse transylvaine.

D’autres choses sont plus maladroites. Par exemple, la relation amoureuse qui a lieu entre Eva Cuza (Alberta Watson) et Glaeken (Scott Glenn) est absolument artificielle, justifiée probablement par l’irrésistible attirance pour l’aura surnaturelle de l’étranger aux yeux de lumière. Elle ne gêne cependant qu’assez peu la progression du récit. Le film a d’autres défauts, plus formels, en partie dus aux aléas du tournage. Ainsi, la disparition de Wally Veevers responsable de la conception du démon Molaasar oblige à lui trouver un remplaçant*. Enki Bilal est chargé de lui succéder et c’est peut-être à ce remplacement imprévu que l’on doit quelques apparitions ratées du monstre (par exemple quand il prend Eva dans ses bras alors qu’il n’est encore qu’une émanation de fumée). L’adaptation aurait encore gagné à ignorer ou à remanier des aspects qui n’apportent pas grand-chose (ainsi, aussi, le talisman que Glaeken Trismegestus -!- transforme en arme).

La forteresse noire est néanmoins un film fantastique singulier. Il marque pour son décor de citadelle en pierres noires blottie contre une impressionnante falaise (un plan en plongée rappellerait presque Le Narcisse noir de Powell et Pressburger, 1947). Le décor massif a quelque chose des architectures brutalistes aperçues dans quelques Star Wars ou bien dans la série des Dune de Denis Villeneuve (2021-2024). L’histoire joue avec tout ce qui fascine, les nazis et leur attrait pour les forces occultes… Pas sans maladresse, mais ici le mystère emporte tout.

* Jean-Sébastien Massart, La Forteresse noire (1983), dans La Septième Obsession, n° 33, mars-avril 2021, dossier spécial Michael Mann, p. 41.

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