Les Poupées du diable (The Devil Doll)

Tod Browning, 1936 (États-Unis)

Les Poupées du diable est l’adaptation d’un roman, Burn Witch Burn d’Abraham Merrit (paru en 1932) et, outre Tod Browning, Guy Endore et Erich von Stroheim sont crédités au scénario. Peut-être l’histoire d’origine a-t-elle souffert des modifications successives et des arrangements supposés des différents scénaristes qui se sont penchés dessus car, au final, Les Poupées du diable en est plus fantaisiste que fantastique.

Ainsi, une fois la démonstration de l’expérience scientifique folle faite, le possible film d’épouvante au bord des marais se mue en une comédie dramatique parisienne entre gens de peu et riches banquiers criminels. La motivation de Paul Lavond (Lionel Barrymore) est double : tirer vengeance de ceux qui l’ont ruiné (un trio de banquiers) et condamné à la prison 17 années durant, et en même temps renouer avec sa fille Lorraine (Maureen O’Sullivan) qui le hait parce qu’il l’a abandonnée, elle, et sa mère. Les deux tiers du film, on suit les stratagèmes de Lavond et ses efforts, déguisé en vieille marchande de jouets, pour échapper à la police. Browning fait d’ailleurs plutôt bien exister ses personnages, Lavond et Lorraine en particulier. Par exemple, plusieurs scènes témoignent des difficultés de la jeune fille liée à sa condition de blanchisseuse et contrainte le soir de vendre ses charmes pour gagner trois sous de plus, ce qui complexifie les relations avec son fiancée Toto. Cette histoire là est loin d’être déplaisante à suivre. Mais on est assez loin du titre et des diableries promises. Celles-ci ne figurent que dans une première partie, comme la mise en bouche d’un plat fantastique plus consistant qui jamais ne vient.

Au départ, il y a donc un savant fou, Marcel (Henry B. Walthall) qui disparaît ensuite de l’histoire. Il a toutefois le temps de présenter à Lavond son laboratoire, son invention et ses projets pour la survie future de l’humanité : rapetisser le monde entier, et en effacer les déficiences intellectuelles au passage, pour mieux contrôler les ressources terrestres (plus petits, les humains seront moins gourmands), fallait y penser. Marcel meurt de surmenage après une énième expérimentation, mais Malita, la fidèle épouse qui l’assistait jusque-là, veut réaliser le rêve de son génie de mari. Lavond voit dans le procédé de transformation mis au point un moyen de se venger, il s’associe pour un temps avec la veuve. Malita (Rafaela Ottiano) est boiteuse et rappelle par ce handicap toute une kyrielle de domestiques terribles et d’affiliés inquiétants habituellement attachés dans le cinéma de genre à la figure de l’aristocratique monstrueux ou du savant fou. Surtout, une mèche blanche dans les cheveux, Malita n’est pas sans rappeler La fiancée de Frankenstein de Whale sorti l’année d’avant (en 1935). Le savant fou, son étonnante assistante, un laboratoire isolé dans la lande, sans oublier une motivation assez barrée, tout cela constitue une matière propice à une horreur très classique, certes, mais encore enthousiasmante.

Quand sont opérés les rapetissements de quelques chiens et de deux personnes (les « poupées » du titre), notre adhésion à l’argument fantastique se perd. Mais, plutôt qu’à L’homme qui rétrécit de Jack Arnold (1957), devant cette toute petite demoiselle qui escalade un lit ou ouvre une boîte à bijoux comme un énorme coffre pour en dérober les trésors, c’est Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs (Hiromasa Yonebayashi, 2010) qui tout d’un coup revient à l’esprit. Cela pour dire, encore que Les Poupées du diable, décidément bien étrange, acquiert aussi par endroit un charme que l’on n’attendait pas.

2 commentaires à propos de “Les Poupées du diable (The Devil Doll)”

  1. Je ne l’ai vu qu’une fois, à sa ressortie il y a bien longtemps. Je me souviens avoir noté que le bizarre mélange qu’opère Browning dans ses films fonctionne moins bien avec le parlant (exception faite de Freaks). Dans ses meilleurs films muets, il réussi un numéro d’équilibriste entre l’étrange et le mélodrame. Le fantastique « pur » n’a jamais été vraiment son domaine, c’est d’ailleurs pourquoi La Marque du vampire est meilleur que son Dracula : il préfère parler de trucages que de surnaturel. Par contre, le drame entre le père et la fille est une constante dans son oeuvre.

    • La labo et l’ambiance de départ étaient pourtant particulièrement crédibles pour verser entièrement dans le fantastique et plus qu’une séquence durant. C’est l’époque où les studios acquièrent un excellent savoir-faire dans ce domaine et probablement grâce à tel ou tel technicien plutôt qu’aux réalisateurs eux-mêmes. Enfin, j’imagine.

      Celui-ci a ses défauts mais les personnages dégagent une véritable humanité et la relation père fille en particulier.

      Sinon je reverrai bien le diptyque vampirique !

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