Un millier d’années de bonnes prières

Wayne Wang, 2008 (États-Unis)

Sortis en même temps sur les écrans, Un millier d’années de bonnes prières et La princesse du Nebraska constituent un diptyque réussi dont chaque volet, de rythme et de technique très différents, traite à travers le portrait de deux jeunes femmes de la « collision culturelle » entre immigrés Chinois et Nord-Américains et de la difficile communication entre générations.

Comme dans La princesse du Nebraska la première scène a lieu dans un aéroport. Wang commence ces deux récits en tout logique par l’arrivée d’un Chinois dans une ville américaine : Sasha à San Francisco dans Princesse, le vieux Mr. Shi (Henry O) dans une ville qui n’est pas nommée dans ce film. Mr. Shi est le père de Yilan (Faye Yu), qui est d’une dizaine d’années environ l’aînée de Sasha. Yilan n’est pas très à l’aise avec lui. Son acculturation sur le territoire américain, à commencer par l’apprentissage de l’anglais qui lui accorde une liberté de pensée et d’expression que le mandarin ne permettait pas, l’a éloigné de ses proches qui sont chinois (famille et mari). Alors que Mr. Shi, n’ayant que faire des différences linguistiques, entame sans déplaisir la discussion avec quiconque (dans l’avion, au bord de la piscine, dans un parc), la communication avec sa fille est presque brisée, les silences nombreux. Durant le trajet en voiture qui les mène de l’aéroport au domicile de Yilan (jamais Wang ne réunit ses personnages en un même plan), le père lance sur sa fille des regards restés sans réponse.

La caméra n’a plus l’instabilité qu’elle avait dans Princesse du Nebraska et la réalisation se rapproche davantage de celle de Dim sum (1984). L’idée retenue par Wayne Wang est une nouvelle fois celle de la rupture : entre deux personnes et deux générations (Mr. Shi et Yilan), deux modes de vie et deux sphères culturelles (mœurs chinoises anciennes et mœurs américaines modernes). Les images très cloisonnées approfondissent l’idée : l’ensemble résidentiel dans lequel vit Yilan (très bien filmé), l’intérieur de son appartement, son bureau… Le cinéaste fait en sorte de multiplier les horizontales, les verticales et les diagonales et découpe ainsi ses plans, divisent, isolent et recadrent les personnages.

Cette fois, le réalisateur met aussi en présence les protagonistes chinois ou d’origine chinoise avec d’autres personnages ayant de fortes attaches avec leur pays : une grand-mère iranienne avec qui Mr. Shi discute dans le parc, l’amant russe de Yilan et des individus typiquement américains (deux démarcheurs mormons et un brocanteur spécialisé dans de la camelote censée avoir appartenu aux Indiens d’Amérique). Les deux premiers font écho différemment au communisme qui laisse Mr. Shi très nostalgique (le foulard rouge plusieurs fois recyclé, la musique russe, ces citations de Marx et d’Engels) et tous sont l’occasion de rencontres cocasses.

Yilan, contrairement à Sasha, est peut-être plus « stable » (travail dans un campus universitaire, appartement dans résidence), plus sage (pas de relation avec le milieu de la nuit si ce n’est pour aller au cinéma), elle n’en éprouve pas moins des manques (pertes de racines et de repères, manque affectif). Wayne Wang parle du mélange des deux langues et des deux cultures comme « d’un troisième élément qui est plus créatif et libérateur »*, pourtant ses films, lorsqu’ils abordent ce thème, ne transmettent pas cet optimisme. Un millier d’années de bonnes prières, comme La princesse du Nebraska, est d’une plastique magnifique, mais je suis plus sensible au premier, à sa douce lenteur et à sa description des relations contrariées entre un père et sa fille.

*Brochure promotionnelle, Un millier d’années de bonnes prières / La princesse du Nebraska, AFCAE, 2008.

Voir cet article en partie repris dans Kinok et paru en mars 2009.

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