Peur sur la ville

Henri Verneuil, 1975 (France, Italie)

SOUS LE GIALLO, L’ÉPOUVANTE

À découvrir le film, on se demande si Wes Craven ne s’est pas souvenu de la scène d’introduction de Peur sur la ville pour fabriquer la sienne fameuse dans Scream (1996). La fille n’est pas dans la cuisine mais dans sa chambre. Il n’est pas question de méchantes devinettes mais quand même d’un détraqué qui harcèle ses victimes au téléphone. Le code du slasher édicté dans Scream est repris. L’assassin cherche à rendre justice au puritanisme : tous ceux qu’il juge des dépravés sexuels seront punis. Par ailleurs, la musique, signée Ennio Morricone, sous-tend une angoisse que vient appuyer la sonnerie stridente du téléphone et celle-ci répétée finit par faire plier la victime. Avec son battement de cœur entêtant, la bande-son ajoute aussi à cette tension. Là, c’est Les Trois Visages de la peur de Mario Bava (1963) qui vient à l’esprit : même assassin pervers au bout du fil dans le segment du Téléphone, même battement de cœur dans le segment de La Goutte d’eau. Enfin, pour revenir à Verneuil, l’orbite vide de Minos le tueur (ce que l’on découvrira plus tard), l’œil de verre qui la cache, ses apparitions et ses gros plans pousseraient presque définitivement le film vers l’épouvante.

Mais il n’en est rien. Peur sur la ville n’est pas un film d’horreur (en tout cas pas immédiatement et pas dans ce sens-là) et même, plutôt qu’un slasher (car cela ne taillade guère non plus), il s’apparente davantage au giallo. D’une part en effet, Jean-Paul Belmondo et son acolyte Charles Denner font leur travail de flics dont on suit assez clairement la progression une fois passée la scène d’intro. D’autre part, le film est coproduit par l’Italie, ce qui justifierait d’autant mieux l’étiquette. La distribution compte aussi plusieurs acteurs italiens, Lea Massari (qui meurt défenestrée dans la scène d’intro), Adalberto Maria Merli qui interprète Minos après lequel court le duo Belmondo-Denner. On a signalé Morricone et d’autres Italiens occupent encore d’autres postes, comme aux costumes (hypothétiquement pour ne pas décevoir la réputation du pays en terme de mode vestimentaire ?).

La casse des voitures et du mobilier pendant les courses-poursuites et les bagarres tirent le film plus loin dans l’action pure. Suspendu sous un hélicoptère avec des gars du GIGN, sur le toit du métro lancé à toute allure ou accroché à un balcon quelques étages au-dessus du vide, autant de cascades incroyables auxquelles le film laisse du temps et qui font de Belmondo un modèle des décennies avant Tom Cruise et Mission Impossible (1996, décidément on y revient). Côté récit, les scénaristes (Verneuil, Jean Laborde et Francis Veber) ont la bonne idée de croiser deux enquêtes, l’une faisant quelque peu diversion et justifiant plus ou moins la nonchalance du commissaire Letellier / Belmondo, l’autre revalorisée par ce contre-temps. Verneuil a le savoir-faire et, si l’on reste à la surface, c’est pas déplaisant.

Alors, on parle cascade, action, giallo, mais pour essayer de cerner au mieux le divertissement, on ne s’en tiendra pas à tout ce qui rend le film sympathique. Puisqu’il s’agit d’un polar, faudra bien creuser un peu et éventuellement déterrer le cadavre… Faisons d’abord allusion à l’époque pour l’avoir en tête : Giscard d’Estaing à la présidence. Puis, de façon assez raccord, au fond tendance réac de Peur sur la ville. D’abord, les femmes sont quasi lubriques, en tous cas toutes particulièrement « libérées » et toutes bourgeoises (le scénario fait un détour par le foyer très dérangeant d’une star du porno qui voit sa fillette de 5 ou 6 ans se balader entre le salon, la cuisine et le studio de tournage… et dans un autre appartement un massage est l’occasion d’un revirement psychologique déconcertant qui n’a semble-t-il de justification que de rassurer le spectateur sur la sexualité du héros). Ensuite, les flics eux-mêmes qui sont tout feu tout flamme ont des méthodes dégueulasses : aucune empathie pour des réfugiés maliens escroqués dans une cave, un ex étudiant de mai 68 (Jean-François Balmer) à qui Belmondo fait la morale, un autre malfrat que le commissaire et son second sont à deux doigts de laisser crever pour soutirer une information. Et la puérilité du personnage de Belmondo qu’en faire ? Sa hiérarchie l’agasse profondément. Sur le terrain, il n’en fait qu’à sa tête et, de son propre aveux, il préfère agir que réfléchir. Le commissaire Letellier est un flic-brute superficielle, un plaisantin au muscle tendu et au flingue à portée de main… Sa bonhomie aurait pu l’excuser s’il ne s’était pas pris autant au sérieux. Et finalement, Peur sur la ville nous rattrape par le col et le cadavre déterré ramène définitivement le film à l’épouvante masculiniste : misogyne, garant d’un certain autoritarisme, voire libertarien (on s’arrange avec les règles ou l’on s’en passe), un corps dans l’action à tendance individualiste. À se demander si le cadavre déterré n’est pas celui de Pierrot le Fou assassiné par le commissaire Letellier ; Pierrot aussi était libre, oui, mais lui n’imposait rien à personne.

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