Le voleur

Louis Malle, 1967 (France)

À CORPS PERDU

Cruel parfois, jamais discourtois. Juste avant 1968, Malle trop peu méchant pour vouloir dépecer la carcasse bourgeoise, d’autant que son voleur s’y complaît, adapte un roman auquel il retire, si l’on en croît ceux qui l’ont lu, hargne et radicalité. Le film reprend le récit signé Georges Darien, un sympathisant anarchiste. Quand on lit Malle et ce qui l’a poussé à cette réalisation, on ne s’étonne pas que l’aventure ait perdu de son piquant :

« Après dix ans dans ce métier, je voyais le livre comme une métaphore de ce qui s’était passé pour moi. Je ne pouvais m’empêcher de comparer Randal le voleur avec Malle le cinéaste. Nous venions tous les deux d’un milieu aisé, conventionnel, nous avions rompu avec lui par la révolte, la colère, le désir de se venger et de le détruire. Ensuite, bien entendu il y a une existence aventureuse et romantique, des femmes, le succès et l’argent. La société qu’on a rejetée vous acclame et vous vous retrouvez à votre point de départ » (Catalogue « Le cinéma de Louis Malle », rétrospective L. Malle au Studio des Ursulines à Paris, Pyramide, avril 1994)

Darien intéresse Malle pour l’aspect autobiographique que ce dernier décèle en s’identifiant au personnage principal, et non pour sa critique politique, même si celle-ci transparaît forcément. Dans l’histoire, le vrai libertaire, ce n’est pas Georges Randal, le personnage impeccablement interprété par Jean-Paul Belmondo. Randal fait le choix de voler la classe dirigeante en premier lieu parce qu’il réagit à l’éducation dispensée par son oncle (Christian Lude), un riche rentier attaché à ses biens et vieillissant de la façon la plus détestable qui soit. Non, l’insurgé, c’est Cannonier joué par Charles Denner. Autre voleur, grimé pour échapper aux autorités qui le traquent, Cannonier le bien nommé est partant pour les attentats car il n’a qu’une envie, détruire la bourgeoisie industrielle qui mène le bal en cette fin de XIXe siècle. On assiste bien à un coup de sang de Randal qui s’emporte lors d’une exécution publique avec l’envie de tout renverser. Mais la colère retombe vite. Sa motivation n’est guère politique. Le coquin commet ses larcins car, dans la plus complète désillusion, c’est là finalement son unique frisson. Il est par ailleurs incapable de s’arrêter. Impressionnant regard fixe sur lequel se clôt le film : dans le train en marche, le butin dans les valises et à ses pieds, Randal a les yeux rivés sur le vide qui le happe. Témoignant de sa détresse, il y a aussi cet aveu terrible fait par le mélancolique malfaiteur à Charlotte (Geneviève Bujold) : « J’ai besoin de toi. Il n’y a qu’à toi que je peux dire que je suis seul ». Cannonier, lui, finit la gueule dans une flaque de sang, à jamais révolté.

Malle soigne le cadre (somptueuses demeures Belle-Époque, costumes superbes…) et les acteurs participent pleinement au plaisir. On se réjouit avec Julien Guiomar, truculent abbé faussaire, et Marie Dubois qui joue la jolie victime versatile mais toujours intéressée. On remarque aussi les rôles secondaires : Paul Le Person le complice ou Marlène Jobert qui fait une trop brève apparition, ainsi que, même s’ils n’ont qu’une réplique ou deux, Jean-Luc Bideau en huissier professionnel et Bernadette Lafont au sourire fripon.

Presque nonchalant, pour faire main basse sur la propriété d’autrui, le gentleman-cambrioleur prend son temps. Cependant il ne justifie pas son action avec la fameuse phrase de Proudhon, « La propriété, c’est le vol ». Aussi, l’acide sorti de la sacoche est  destiné à attaquer moins la société capitaliste alors en plein essor que les seuls coffres des privilégiés qui en profitent. Le vol oui, toutefois sans réelle conviction ni résistance à la société, ce qui n’ôte certes pas au Voleur ses qualités, loin de là. C’est un beau film sur un homme complexe, sorte d’anarchiste individualiste désenchanté.

Voir l’analyse riche et très complète de Philippe MET, Louis Malle dans tous ses états, Les Impressions nouvelles, 2022, chap. « Le voleur : (auto)portrait du metteur en scène en monte-en-l’air ».

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