L’amour et les forêts

Valérie Donzelli, 2023 (France)

« L’amour et les forêts » est un beau titre qui ouvre grand l’imaginaire. Il invite à penser au conte qui justifie le nuage de bonheur sur lequel, au début de l’histoire, se trouve Blanche. Quand le spectateur la rencontre, elle est la plus terne des jumelles Renard (doublement Virginie Efira). Pourtant c’est pour Blanche et non pour Rose que tout devient trop rapidement simple et idéal : la rencontre avec Lamoureux (Melvil Poupaud), les enfants, la villa et une chanson pour changer de vie, comme dans un Jacques Demy. Mais la vie n’est jamais aussi claire et limpide qu’un conte. Et de Demy, on oublie souvent un peu vite que les amours qu’il décrit ont leur part d’ombre.

C’est pourquoi aux forêts enchantées succèdent les bois obscurs. Le mal convoqué n’est plus celui du conte mais celui terriblement réel caché derrière le sourire ou le compliment du mari lentement découvert en pervers narcissique. Une fois le sujet révélé, on craint le simple « film-dossier », le fait divers platement illustré, mais Valérie Donzelli l’évite de plusieurs manières.

Il y a d’abord et surtout le couple Efira-Poupaud : elle, l’épouse emmenée par le beau garçon d’un Conte d’été (Rohmer, 1996), puis harcelée, violentée jusqu’à l’épuisement, par le père de ses enfants. À côté des acteurs principaux, on a plaisir à retrouver Marie Rivière (la mère) et ces autres rôles de femmes qui, collègue, avocate ou inconnue, prêtent chacune à leur manière mains fortes à Blanche (Virginie Ledoyen, Romane Bohringer et Dominique Reymond).

Ensuite, la mise en scène de Valérie Donzelli est, sans être neuve, particulièrement soignée. Les images travaillées nourrissent de sens le récit, parfois, ce qui est le plus intéressant, au point de l’anticiper. De plus, les fausses pistes glissées contribuent à la richesse d’une histoire qui décidément se rêve en fiction. Par exemple, lorsqu’un arc est tendu vers sa cible, on se perd à imaginer Blanche blessée qui s’improvise héroïne ou femme vengeresse ; cependant si la réalisatrice de La Guerre est déclarée (2011) esquisse par indices le film de genre, ce n’est que pour mieux signaler une issue impossible. De même, le charme de l’homme des bois, bel inconnu rencontré à la faveur d’une brève liberté que s’accorde Blanche sur réseau social (Bertrand Belin), ne changera rien au sort de l’épouse. Et encore, un frange coupée droite fait croire un bref moment à la mise en place d’un jeu de dupe hitchcockien (la possibilité d’un échange entre les jumelles), mais le retournement de situation un instant envisagé par le spectateur aura tôt fait d’être abandonné. Toutes ces tangentes fictionnelles sont écartées et a fortiori quand cette femme droite derrière son bureau, que l’on prend un temps pour une psychiatre, demande à Blanche qu’elle ne se concentre plus désormais dans son témoignage que sur les faits et la loi.

Sur un scénario cosigné avec Audrey Diwan et adapté du livre d’Éric Reinhardt (L’Amour et les Forêts, remarqué en 2014), Valérie Donzelli fait là son film le plus grave mais aussi le plus solide en terme de réalisation et de narration. Certaines scènes sont violentes et le spectateur n’en sort pas indemne, mais, grâce à une mise à distance bienvenue (le récit de la victime à son avocate), quand le récit finit par se dépouiller de lui-même, que la photo fait davantage entrer la lumière, mais aussi que le point est à nouveau fait sur le personnage de Blanche (alors qu’elle disparaissait avant si facilement dans le flou de l’image), on est soulagé de trouver cette femme protégée, encore loin d’être sereine, mais enfin protégée.

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2 commentaires à propos de “L’amour et les forêts”

  1. Belle défense, mais je n’ai pas été convaincu par ce grand méchant Poupaud vu à travers les lentilles déformantes de Madame Donzelli. J’y vois beaucoup d’affèteries, d’effets de mise dont elle use parfois à l’excès. Question de style plus que de fond.

  2. Afféteries me paraît fort, mais je vois ce que tu veux dire. Il y a quand même la volonté d’enrichir le film par l’image et ce par des biais multiples.

    Certes, ce sont des effets que l’on a souvent vu ailleurs, d’où la surdose que tu indiques, mais pas tout.

    Je trouve que c’est bien réfléchi et Donzelli parvient à mes yeux à un certain équilibre par cette manière. Le propos n’en est que mieux servi.

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