La Rivière Rouge (Red River)

Howard Hawks , 1948 (États-Unis)

La Rivière Rouge nous éblouit dès le début. Le cow-boy quitte le convoi car il veut s’installer, s’approprier une terre au Sud et y conduire ses bêtes. Il quitte la caravane de pionniers mais quitte aussi sa femme pour lui éviter de courir un danger tant qu’il n’a pas sa ferme. L’étreinte est superbe. Dans ses bras, Fen (Coleen Gray) croit pouvoir convaincre Tom Dunson, toutefois ses arguments tombent un à un sur le plastron de John Wayne qui l’incarne. Elle lui promet de le retrouver. Il lui offre un bracelet. Un dernier baiser et un au-revoir au loin. La scène a un témoin, le fidèle Groot (Walter Brennan, que l’on revoit aux côtés de Wayne dans Rio Bravo, 1959, et dans d’autres films de Hawks). La scène expose déjà le caractère bien trempé de Dunson alors que Fen le met presque en garde : sans femme, le cow-boy va perdre un cadre (« You’ll need a woman. You need what a woman can give you to do what you have to do »). Cela, le vacher ne s’en rend pas compte, mais le spectateur si. Et Groot, qui nous raconte l’histoire, nous le signalera plus loin.

La Rivière Rouge fait le récit de la première piste ouverte par les éleveurs texans désireux de vendre leurs troupeaux à l’Est, après la traversée de la dite rivière qui désigne un long affluent du Mississipi. Avec la guerre de Sécession, le Sud s’est appauvri. Les fermiers ne peuvent plus vendre leur bétail. Dunson regroupe alors les différents troupeaux et avec ses cow-boys mène 9000 vaches sur la piste Chisholm depuis le Texas jusqu’au Missouri.

Hawks fait surtout le portrait de Dunson, que l’on découvre de plus en plus autoritaire et qu’il sera difficile, en dépit des réconciliations voulues par Hawks, de considérer sympathique jusqu’au bout (ce qui étonne compte tenu d’une part de son importance dans le film -il est le personnage principal- et quand on sait l’icône que John Wayne a représenté). L’homme s’accapare des terres et légitime sa propriété à la gâchette. Exigeant, car le voyage est long et dangereux, il pousse ses employés à bout, se montre injuste, voire, comme le dit Groot, tout à fait tyrannique. Face à lui, un autre personnage s’impose malgré tout : Matthew Garth (Montgomery Clift), le fils adoptif. Belle gueule, sensible et tireur d’excellence, il finit par être le garant d’un équilibre social au sein du groupe dirigé par Dunson, puis se retourne contre lui quand les limites sont dépassées. À côté de ces deux hommes forts, une femme se démarque : la sympathique Tess (Joanne Dru) que Matthew rencontre pourtant plus agacée par lui que par la flèche indienne qui la blesse à l’épaule (très jolie scène). Son rôle pourrait être considérée plus mineur, mais la difficulté de Hawks à conclure le film lui donne une autre teneur (il pique le final au Banni de Hughes, 1943*).

La réalisation est juste et sobre, quoiqu’elle se démarque à l’occasion par son audace : pendant la traversée de la rivière par exemple avec une caméra embarquée à bord du chariot de Groot, ou lors du départ du convoi avec ses gros plans sur les figures des vachers joyeux qui rappellent de semblables gros plans dans les films d’Eisenstein (Octobre pour en citer un, 1927, comparaison qui ferait certainement rire jaune Hawks lui qui était plutôt porté sur l’anticommunisme). La Rivière Rouge peut sembler long, c’est vrai (il existe une version plus longue et sans voix off que Hawks appréciait moins). Et pourtant la censure a contraint le réalisateur à opérer des coupes (trop de prostituées ici ou de sous-entendus scabreux là*). Mais c’est un film épique. Le spectacle est assuré quand « la mer de bétail »* se met en mouvement. La Rivière Rouge sait laisser une place aux sentiments et à l’humour (Groot et l’ami indien) et, ce que l’on retient par dessus tout, le film se montre généreux envers ses personnages.

* Ces informations sont dans la biographie de Todd McCarthy parue chez Actes Sud, 1999.

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