Jeux dangereux (To be or not to be)

Ernst Lubitsch, 1942 (États-Unis)

Jeux dangereux fait partie de ces œuvres qui portent directement sur la Seconde Guerre mondiale, réalisées et quelquefois sorties pendant la guerre. Ernst Lubitsch avait dénoncé le stalinisme dans Ninotchka en 1939, trois ans plus tard, il s’attaque au nazisme et loue la résistance au travers de ces Jeux dangereux, un peu à la manière de Casablanca de Michael Curtis aussi projeté pour la première fois en 1942 aux Etats-Unis. Durant les mois qui séparent la sortie de ces deux films en salles (entre mars et novembre), les victoires des Alliés sur de nombreux fronts obligent les forces de l’Axe à reculer.

Comme Charles Chaplin deux ans auparavant avec le Dictateur, pour aborder le nazisme, Lubitsch opte pour la satire, le registre comique étant celui dans lequel il excelle. Ainsi, dès la scène introductive qui se passe au mois d’août 1939, Hitler apparaît à Varsovie devant la vitrine de la charcuterie Mastowski alors qu’une foule abasourdie le dévisage. Une voix off, qui vient d’évoquer la tranquillité qui régnait dans la capitale polonaise, demande pleine d’ironie ce que fait l’homme « à la petite moustache » ici, seul et en temps de paix. Voici une façon bien originale de nous présenter un des membres de la troupe de théâtre qui, durant tout le film, reste au centre du récit. Cet Hitler est en fait un acteur qui vérifie là sa crédibilité puisqu’il est censé incarner le führer dans une pièce bientôt censurée intitulée Gestapo. Un peu plus loin, l’humour est jubilatoire lors d’un dialogue très osé entre l’actrice Maria Tura (Carole Lombard) et son admirateur, le jeune lieutenant Sobinsky (Robert Stack qui joue notamment pour Douglas Sirk dans Ecrit sur du vent en 1956 et qui, entre 1959 et 1963, est le héros de la série Les incorruptibles). L’échange est truffé de sous-entendus sexuels :

« – Je suis pilote de bombardier.
– Comme c’est grisant. […]
– Vous allez peut-être ne pas me croire mais je déverse trois tonnes de dynamites en deux minutes !
– (Soupir)… C’est vrai ?
– Cela vous intéresse ?
– Certes oui. (La servante hausse les sourcils, passe derrière un rideau et les laisse seuls).
– Quand puis-je vous le montrer ? »

D’autres moments sont savoureux, notamment lorsque Joseph Tura (Jack Benny), acteur vedette et mari jaloux, se retrouve victime de quiproquos divers : il se méfie de sa femme en des situations où il n’y a pas lieu de le faire (quand elle s’implique dans la résistance) et ne se méfie pas assez quand il le devrait (durant la pièce de Shakespeare, alors qu’il déclame la fameuse réplique « Être ou ne pas être », un spectateur se lève ; il ne comprend pas et croît désintéresser son public ; il s’agit en vérité du lieutenant qui profite de la tirade du mari pour retrouver Maria dans sa loge). Ailleurs, les nazis et leur excessive suspicion sont ridiculisés. Relevons encore un gag parmi d’autres : un bras levé pour saluer le führer… en plein bâillement.

Ce registre comique n’empêche nullement les scènes plus dures comme le bombardement de Varsovie et l’entrée des troupes allemandes dans la ville ou bien, sur les affiches placardées et marquées d’une svastika, l’annonce fracassante de la mise en place de camps de concentration. L’hiver tombe sur la Pologne. Aussitôt après, Lubitsch montre toutefois la résistance qui se met en place, d’abord sur les murs de la ville, « V » partout dessiné ou le graphiti d’Hitler pendu, puis par des sabotages. Toute la troupe d’acteurs va entrer en résistance et les talents de chacun sont exploités : le metteur en scène est l’instigateur des guet-apens censés piéger les nazis et, pour mieux les tromper, les acteurs devenus espions enfilent les costumes de l’armée allemande…

Jeux dangereux n’est pas aussi léger qu’il en a l’air. Ernst Lubitsch signe ici une œuvre engagée. Mais, parce qu’il est sorti en 1942, il serait aussi réducteur de faire du film un simple objet de propagande. Jeux dangereux est un petit bijou dans sa réalisation (voir la traque de l’homme dans le théâtre suivit par un projecteur jusque sur scène) dans lequel Lubitsch trouve un parfait équilibre entre drame et satire.

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