Jabberwocky

Terry Gilliam, 1977 (Royaume-Uni)

« Je suis celui qui fut le lion vert et doré : en moi est enfermé tout le secret de l’art »

La rue médiévale dans Jabberwocky, c’est tout un monde prêt à giguevriller. Elle est sale, déserte, fréquentée par des vagabonds qui s’y allongent pour dormir et dessaouler. Puis soudain, c’est l’heure de pointe annoncée à la criée et tous l’envahissent, les marchands et les paysans, les processionnaires qui annoncent la fin des temps et les notables sur leurs drôles de véhicules. Terry Gilliam place ce monde « in the middle of the dark ages », autrement dit un Moyen Âge de folklore (ou anhistorique) et tout aussi indéfini que celui du Jabberwocky de Lewis Carroll. Parmi les premiers plans du film, on ne manquera pas la clé de Jérôme Bosch, dont Gilliam se sert pour nous faire entrer dans son territoire où l’inquiétant fantastique et l’humour monthy-pythonesque s’y épanouissent, où verchons fourgus et slictueux toves s’y girent. Le détail de la clé n’est plus tout à fait de ces temps obscurs, c’est un souvenir pour en sortir ; on le voit dans l’Enfer, un des panneaux du fameux Jardin des délices peint au début du XVIe siècle. Il faut patienter la durée du récit pour voir basculer Dennis Cooper (Michael Palin) d’un panneau à l’autre du tryptique, le hasard à ses côtés et l’opportunisme comme étendard. A lui, pour finir, royaume et princesse.

De l’effervescence de la rue au bouillonnement dans la cornue, on trace un lien lorsque le fils indigne du tonnelier, à qui longtemps l’entrée de la ville est interdite, s’éblouit à découvrir ce monde nouveau et la rue devant lui. Dennis Cooper paraît subjuguer par les enseignes, avant d’être bousculé par la foule. Les enseignes reprennent des enluminures véritables pour indiquer, pourquoi pas, la boutique d’un charron ou d’un forgeron. Mais il est certainement difficile de trouver du sens à tous ces panneaux. Milly Burns et Roy Forge Smith (à la direction artistique et au décor) ont fait prévaloir l’image au sens. Presque à l’instar de ce ballot de Cooper, il se trouve toutefois des enseignes qui attirent notre attention. L’une d’entre elles représente un serpent qui se mord la queue. Sur une autre, on voit un vase en verre qui renferme une étoile, un soleil, une lune et un oiseau, ce dernier cherchant à sortir par le col étroit du récipient. C’est peut-être une des illustrations du Sapientia veterum philosophorum qui date du XVIIIe siècle, à moins que ce ne soit une image tirée des pages des Elementa chemicae de Barchusen paru la même époque. Ailleurs, dans le film, sur des sacs de toile laissés sur le sol, on aperçoit un symbole, comme une croix à plusieurs branches. Autant d’images alchimiques auxquelles il sera difficile de trouver une explication, sauf si l’on considère que Cooper est tombé dans une autre Ruelle de l’or.

Dans la scène de la rue arpentée par Michael Palin, un plan insiste plus particulièrement sur une enseigne, image peut-être plus belle et plus saisissante que les autres : un lion vert y dévore le soleil. Elle est tirée du Rosaire des Philosophes, fameux florilège alchimique des XIVe et XVe siècles et édité en 1550. L’animal qui se repaît de l’astre est l’allégorie d’une opération alchimique, où les matières mêlées, soufre, mercure ou vitriol, agissent l’une sur l’autre. On peut imaginer que l’enseigne signale un atelier d’alchimiste, tout comme les autres planches peintes accrochées décrites plus haut. La rue alors, si elle n’avait été seulement décorative, aurait pu abriter des souffleurs arrogants et de plus sages transmutateurs. Mais ceux-là n’auront pas la chance d’échanger avec Denis, le futur tueur de dragon.

On trouve bien des images alchimiques dans Jabberwocky. Elles accrochent l’œil un instant mais, sur le sujet, il ne faudra rien chercher d’autres. Correction faite, une matière corrode tout de même ici, c’est l’humour de Gilliam à l’égard de tous et de toutes : de Griselda Fishfinger, fille de poissonnier au roi Bruno le Contestable. Et à condition d’y être attentif, comme dans Sacré Graal ! (1975), de très philosophiques raisonnements peuvent aussi longtemps raisonner à nos oreilles. Lors, de la frangieuse turbe, où les gougesbosqueux ne cessent plus de bournifler, l’estence rougeoiera de mille feux et l’or lard de grilheure.

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Une réponse à “Jabberwocky”

  1. L’humour pataphysicien corrode même les matières les plus inoxydables. La preuve par l’enseigne, Paracelse n’aurait pas fait meilleure démonstration. L’article est édifiant, le précipité concluant, jusque dans le sens de la formule.
    Mais à trop fouiller dans le secret des arcanes, gare à l’emplumé terrasseur de chevalier, et laisse en paix le frumieux Bandersnatch !

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