L’homme des hautes plaines

Clint Eastwood, 1973 (États-Unis)

Trois baraquements en bois, un hôtel, un saloon, un ou deux autres commerces. Lago est une bourgade modeste de l’Ouest américain qui, sans la proximité d’une petite exploitation minière, n’aurait rien pour attirer. Lago possède une autre particularité. Elle concentre une poignée d’habitants lâches et malhonnêtes. Un crime abominable assombrit le tableau, celui du précédent shérif fouetté à mort par quelques bandits engagés pour protéger l’exploitation et duquel toute la population de Lago, témoin inerte et silencieux, se fait complice.

Lorsque les notables rencontrent cet inconnu habillé de noir (Clint Eastwood), qui à peine arrivé en ville place avec une adresse rare une balle dans chacun des corps qui vient l’importuner en pleine séance de rasage, ils ne reconnaissent pas en lui le cavalier de l’Apocalypse venu ouvrir les enfers sur leur ville et son apparente tranquillité. Les notables tremblent pour leur vie car les criminels coupables du meurtre auquel ils ont assisté sans dire mot approchent à nouveau. Même s’il vient de violer en toute impunité (la contre-plongée qui le montre reboutonnant son pantalon l’installe dans une dérangeante puissance), l’étranger ferait un excellent protecteur, c’est pourquoi les villageois lui accordent une confiance aveugle et lui autorisent tout. Les premières mesures prises par le faux sauveur sont d’ordre politique : le shérif et le maire sont ridiculisés et leurs fonctions confiées à Mordecai (Billy Curtis), un nain jusque-là méprisé des citadins. Toutes les maisons de Lago sont peintes en rouge, un banquet préparé et la bourgade renommée Enfer (« Hell ») plonge dans une nuit noire que seuls des feux gigantesques éclairent bientôt. Eastwood s’empare de la ville tel un prince démoniaque et laisse un moment les habitants terrifiés seuls face à leur couardise (il en sauve véritablement deux : le nain qui, diablotin, devient son assistant et la seule femme jouée par Verna Bloom, qui est la seule à s’indigner du meurtre du shérif).

Clint Eastwood isole Lago au milieu d’un espace vide qui n’est rattaché à rien (ni route ni chemin de fer) et situe la ville au bord d’une étendue d’eau, le Léthé peut-être pour des citadins qui désirent oublier le crime commis, leur ignominie et préfèrent ne prêter attention qu’à leurs intérêts. De plus, le cinéaste peuple son enfer de gueules (Billy Curtis, John Quade, Paul Brinegar, Jack Ging, Stefan Gierasch, Geoffrey Lewis…). Son film prend alors l’allure d’un tableau de Bosch ou de Bruegel (Le jardin des délices peint au début du XVIe siècle, ou Le triomphe de la mort, vers 1562). La mise en scène est tantôt sobre (lents panoramiques horizontaux), tantôt baroque (la silhouette noire de l’étranger qui fait claquer son fouet devant un mur de flammes). Dès sa seconde réalisation, Clint Eastwood fait d’une histoire de vengeance assez simple un western sombre et magistral.





Voir une autre évolution du western avec Pat Garret et Billy le Kid de Sam Peckinpah sorti aussi en 1973.

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