Alexandre Chartrand, 2019 (Catalogne, Canada)
La démocratie, c’est avant tout la possibilité d’échanger ses idées et de débattre, cela avant d’aboutir à des décisions communes. Mais certains gouvernements ne l’entendent pas ainsi. Si par exemple, en 2014, un référendum d’autodétermination en Écosse n’avait pas été empêché par le gouvernement en place, en Espagne il n’en a pas été ainsi. Autant de fois qu’elle fut formulée, le gouvernement de Madrid a toujours rejeté la demande d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. La Constitution espagnole de 1978, fondée « sur l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible », rend même illégale toute expression populaire par les urnes qui concernerait la possible indépendance d’une des 17 communautés autonomes du pays. Malgré les condamnations répétées de l’État, en 2017, les dirigeants catalans ainsi que des organisations de la société civile et des associations citoyennes prennent pourtant l’initiative d’organiser un référendum et donner l’opportunité au peuple d’exprimer son avis. Comble de la situation, plusieurs politiques (et la Cour suprême espagnole à leur suite) jugent la tenue de ces élections sur l’avenir de la Catalogne « antidémocratique ».
De manière chronologique, le québecois Alexandre Chartrand suit les joutes depuis Madrid et Barcelone toute l’année 2017, avec le 1er octobre, date des élections, comme point de tension et moment politique charnière. Le réalisateur, qui s’était déjà intéressé à la question dans Le peuple interdit (2014), montre cette fois précisément de quelle manière les Catalans se sont opposés au pouvoir espagnol pour pouvoir voter. À chaque interdiction, le peuple répond par la résistance pacifique et parvient à protéger la liberté d’expression que l’on veut lui retirer. Le gouvernement interdit toute réunion concernant l’indépendance : les citoyens lancent un appel à une mobilisation non-violente qui rassemble une foule immense dans les rues de Barcelone. Le gouvernement interdit toute promotion pour le vote du 1er octobre : des milliers de tractes sont émis et distribués pour informer et inciter à voter. La logistique des élections est menacée par l’État et les forces de l’ordre : partout les urnes et les bulletins sont cachés jusqu’à la dernière minute et l’ouverture des bureaux de vote. Des dizaines de bureaux sont investis par les policiers, les individus qui défendent leurs droits malmenés, les bulletins confisqués et détruits : plus de deux millions d’électeurs parviennent à s’exprimer malgré tout dans quelques 3000 bureaux laissés libres et accessibles.
Avec un sourire, la révolution !, titre pour le moins optimiste mais affirmant aussi que la lutte se poursuit, choisit l’enthousiasme pour accompagner la narration et les revendications. Les militants et les individus croisés font autant que possible de leur résistance une joie. Pour preuve, cette scène de recul de la Guardia Civil lors d’une manifestation et les militants qui chantent aux policiers « Bonne journée ». Le documentaire fait aussi allusion au passé. Alors que Carles Puigdemont fait appel à l’exigence démocratique du dialogue, le film fait un retour sur l’époque franquiste, comme à deux ou trois autres moments, et notamment sur le bannissement de Lluís Llach de la scène musicale catalane parce que celui-ci exprimait « des idées et des inquiétudes » gênantes pour le gouvernement. Le film se charge également d’émotions quand il montre la charge de la Guardia Civil le 1er octobre alors que les électeurs présents clament et répètent « Nous sommes des gens de paix ».
L’Espagne refuse de faire sans la Catalogne et certainement sans les revenus que cette communauté lui rapporte. Cependant la question de l’indépendance l’entraîne dans des dérives autoritaires condamnables. On peut évoquer durant cette année 2017 l’Opération Copérnico qui, pour 80 millions d’euros et la réquisition de bateaux de croisière, a permis le déploiement de milliers de policiers de la péninsule en Catalogne. Il faut surtout citer les répressions disproportionnées à l’encontre des dirigeants catalans et des organisateurs du référendum. Moins de quinze jours après les élections, la Cour suprême espagnole a condamné pour sédition neuf dirigeants politiques élus démocratiquement et deux personnalités de la société civile à des peines de neuf à treize ans d’emprisonnement (Jordi Sanchez, Jordi Cuixart, Oriol Junqueras, Carme Forcadell… Ils ont fini par être graciés en juin 2021). L’usage excessif de la force par la Guardia Civil et les Mossos d’Esquadra, ainsi qu’un recours injustifié à des équipements anti-émeutes contre des personnes qui ne représentaient aucune menace ont été condamnés par Amnesty international. Indépendance régionale ou non, ces luttes pacifiques et la désobéissance civile à ce point réprimées, ainsi que la censure et les privations de libertés (d’expression, de réunion, de manifestation) ôtent soudain toute sa dignité et sa légitimité au gouvernement espagnol, celui à l’époque du conservateur Rajoy.
Peut être un nouveau scénario pour la Catalogne, suite aux résultats des élections en Espagne (?). Amnistie et référendum sont à nouveau revendiqués en contrepartie de la réélection de Pedro Sánchez. Ça reste à voir.
Je ne me souvenais plus de ce documentaire. Je le note.
J’ai suivi à distance. En effet, rien n’est encore joué là-bas. Mais la dérive à droite peut faire peur. J’ai entendu des commentaires d’Espagnols (dans les infos de France Inter ou Culture) trouvant que le modèle à suivre en ce moment était celui de Macron… C’est dire.
Merci de fouiner dans les archives du site Jourdan 🙂