La Conférence (Die Wannseekonferenz)

Matti Geschonneck, 2022 (Allemagne)

La Conférence tient en une heure quarante minutes soit à peu près la durée de la conférence qui s’est tenue dans la villa Marlier, au bord du lac de Wannsee à Berlin, le 20 janvier 1942. Quoi de mieux qu’un huis-clos parmi les bourreaux pour assister à la planification de la systématisation de la barbarie national-socialiste à venir ? Le film, très sobre, sans musique ni effet, ne repose presque que sur les échanges entre les quinze participants, des responsables civils et militaires nazis. La conférence est orchestrée par le général Reinhard Heydrich, le chef de la Sûreté.

Des trente exemplaires qui ont existé du protocole rédigé à la suite de la conférence (deux exemplaires par participants), un seul est parvenu aux historiens (ce que nous apprend l’historien Alexandre Bande dans un bonus du DVD du film). Le compte rendu fut rédigé par Adolf Eichmann, le responsable de la « question juive » à la Gestapo. Les quinze pages qu’il contient livrent les accords trouvés sur la déportation des Juifs de tous les territoires nazis, ou sous administration nazie ou alliés aux nazie. Il définit le statut des Juifs étrangers et de sang mêlé afin de déterminer qui sera « éligible » et « bénéficiera » du transport apprêté pour la déportation (le vocabulaire est celui du film). Il prévoit aussi le travail des Juifs qui seront désignés aptes et, pour ceux qui ne le seront pas, indique l’ouverture des centres de mise à mort. Il comptabilise les populations concernées (onze millions de Juifs au total) et présente les modalités techniques de l’extermination. « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutées » (la phrase est extraite du rapport). Ce protocole a servi de référence à Matti Geschonneck, il est plusieurs fois cité et l’ensemble des questions débattues participe à structurer le film.

Les dialogues, qui glacent le sang, mettent en avant la complexité de l’idéologie nazie. D’abord évidemment, son antisémitisme radical et sa xénophobie. De manière explicite, il est également plusieurs fois fait allusion à la théorie biologique, préserver la société allemande des « maladies » juives, des homosexuels, des handicapés… D’autres répliques évoquent le caractère providentiel du projet ainsi que la mission sacrée qui leur est à tous confiée. La « prophétie » du Führer, qui annonçait dans un de ses discours le sort réservé aux Juifs d’Europe, est aussi mentionnée. L’objectif est bien l’instauration d’une société aryenne nouvelle.

Hitler, Göring ou Himmler, absents de la conférence, n’avaient n’a pas une idée précise des moyens en mettre en place et c’est tout le sujet à Wannsee, s’accorder sur la « Solution finale à la question juive ». L’expression désigne le génocide des Juifs d’Europe et Göring l’utilise (le premier ?) lorsqu’il charge Heydrich de régler sa mise en œuvre pratique dans une lettre datant de juillet 1941 (et lue dans le film).

À travers cette réunion interministérielle, La Conférence fait aussi apparaître ce que les historiens allemands Martin Broszat et Hans Mommsen ont nommé la polycratie nazie. Sont présents à Wannsee des membres d’instances très variées : la Gestapo, la SS et le RSHA (la Sûreté), la Chancellerie du Reich, des gouvernements des régions conquises, des ministères (travail et transport, affaires étrangères, économie)… Et chacun paraît se méfier des autres. Ils se justifient, défendent leur position, leur bureau, les tâches qui leur incombent… et certains comme Heydrich tentent d’affirmer son autorité sur les autres. La polycratie désigne ainsi ces rivalités internes et même la libre concurrence entre les dirigeants nazis, a priori profitable au pouvoir, en tout cas à celui de Hitler.

La Conférence donne une représentation de la conférence de Wannsee bureaucratique, froide, mais également faite de tensions entre les décideurs nazis présents. Les dialogues sont précis et le film paraît très bien documenté. Le compte-rendu historique sur lequel semble s’être bâti le scénario ne développe pas sur les parties les plus délicates du débat. N’apparaissent pas les oppositions franches et les questions morales ou humaines que posent les crimes de masse. Le film imagine ces échanges et montre la réflexion des nazis soucieux de ne pas traumatiser ceux qui seront chargés de l’élimination répétée et quotidienne qu’ils viennent de planifier. La Shoah vient de commencer et l’hiver de ce mois de janvier va durer jusqu’à la libération des territoires de l’Est.

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