Cible émouvante

Pierre Salvadori, 1993 (France)

D’un bout d’oreille arraché et tenu entre les doigts à un sucre plongé dans une tasse de thé, dans son premier long métrage, Pierre Salvadori pratique un humour noir et subtil. Cible émouvante commence d’ailleurs sur ce ton-ci. La manière est fracassante et fantasque : un corps tombe d’un immeuble tandis que l’accompagne son tueur (Jean Rochefort) qui, passant la porte d’un pas allègre, décline à voix haute toute l’anglaise irrégularité de « to fly ». De vol, il en est bien question car le prochain contrat de ce professionnel à moustache est du genre cleptomane et, dans un parfait soucis d’équité, la demoiselle (Marie Trintignant) donne aussi bien dans la subtilisation du croissant au beurre à l’innocent du matin, que dans le troc d’un faux Rembrandt contre des liasses de vrais Pascals à une petite maffia parisienne (Serge Riaboukine en second couteau, Wladimir Yordanoff en truand à costard).

Seulement voilà, menacé par un couteau très mal tenu, l’assassin en costume a cédé à une sorte de pulsion pédagogique et plutôt que d’éliminer un importun, a enrôlé le blond novice (Guillaume Depardieu) dans sa petite affaire. Depuis, Jean Rochefort s’est vu déposséder de l’excellence qu’il avait en matière criminelle par quelque imperceptible puissance supérieure et, flanqué de cet apprenti, manque toutes ses cibles ou presque. Pourtant, motivé par la perspective de se former et d’avoir un temps plein en CDI, secondairement enthousiaste de pouvoir rester en vie, Guillaume Depardieu y met vraiment du sien. Il prête son épaule au canon long du tueur de pointe, une oreille attentive aux conseils prodigués par son maître et s’applique à la tâche tant qu’il ne s’agit pas de passer à l’acte. Rien n’y fait, troublé par Marie Trintignant, nature mais pas sans emmerdes, le duo assassin tergiverse.

La comédie de Salvadori trouve dans les angoisses de Rochefort un réceptacle idéal. Le tueur s’inquiète de ses capacités professionnelles héréditaires (car dans la famille, on assassine de génération en génération), ainsi que de sa position de célibataire endurci visitant régulièrement sa vieille mère (Patachou le piquant sur sa vie sexuelle). Cible émouvante, c’est quasiment un oxymore, et forcer la complicité d’un tueur méticuleux et décisif, à un jeune désœuvré adepte de bains avec pétard d’une part, et à une belle et imprévisible indocile d’autre part, c’est chercher à glisser un peu de chaos dans une vie trop bien rangée. De cette association des contraires, il ressort un film attachant et un trio d’acteurs qui nous régale. Dès le début, le futur réalisateur des Apprentis (1995) et d’En liberté ! (2018) faisait mouche.

Une réponse à “Cible émouvante”

  1. « Quelqu’un a vu le chat ? »… j’adore ce film ! Et comment ne pas l’aimer ? Souvenir (émouvant, aussi) de Jean qui en parlait quelques années après la mort de Marie et de Guillaume, trouvant illogique et triste d’être le dernier survivant de la bande.

    S’il est un paradis pour les saltimbanques, j’espère que ces trois-là s’y sont retrouvés pour se faire des blagues.

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