Claudia Llosa, 2009 (Pérou, Espagne)
« Un viaje del miedo a la libertad »
La mère se meurt. Dans un dernier chant qui fait l’ouverture du film en off et dans le noir complet, cette femme usée raconte de façon étrange son viol et l’assassinat de son mari par les guérilleros. Les mots n’ont rien de chantant et pourraient être simplement dits, mais la mélodie paraît nécessaire pour atténuer leur rudesse et essayer d’adoucir la violence de l’histoire. Selon les croyances péruviennes, Fausta, la fille de cette vieille femme, aurait été témoin de ces crimes depuis le ventre de sa mère. La teta asustada, le mal dont elle souffre, lui aurait été transmis dès la naissance et par le lait maternel [1]. La jeune femme est atteinte d’une peur viscérale qui ne s’explique plus par le contexte de la guerre civile mais par celui d’un douloureux legs familial. Elle n’ose marcher seule dans la rue. A l’écran, les cadres la morcellent. Elle redoute le viol.
« La métaphore est d’une puissance frappante : le passé refoulé au plus profond de soi est animé d’une vie propre, il continue à se développer comme une tumeur. » [2]
Pour se protéger et croyant ainsi décourager un éventuel agresseur, Fausta s’est introduit une pomme de terre dans le vagin. Un tubercule qui se flétrit et finit par germer.
La mère décédée, Fausta ne peut lui payer de cercueil. Le corps va rester là, emmailloté, presque momifié, empêchant la vie de totalement reprendre son cours (la robe de mariée déplacée, c’est le corps de la mère qui apparaît). Claudia Llosa parvient même à nous laisser ce corps en tête : c’est le cas lorsqu’on aperçoit le trou creusé par l’oncle derrière la maison, que l’on prend pour une tombe avant de voir que des enfants barbotent et s’amusent dedans [3].
Le film met aussi la capitale péruvienne très bien en scène. Peu de choses sont montrées de Lima mais la réalisatrice oppose une périphérie de favellas de moindre densité (donc, suppose-t-on, sur les limites extérieures de la mégapole), où s’élèvent arides les premiers reliefs andins, au centre-ville animé (le marché coloré) et aux riches demeures qu’abritent de luxuriants jardins [4]. C’est dans la résidence d’une concertiste que Fausta trouve à se faire embaucher en tant que domestique. Elle trouve là-bas de quoi petit à petit sortir de sa torpeur : le chant auquel elle est d’abord contrainte (la pianiste la fait chanter contre les perles d’un collier et lui vole sa mélodie), la rencontre avec Noé le jardinier qui lui montre qu’une pomme de terre peut donner des fleurs et enfin la possibilité d’enterrer sa mère.
Claudia Llosa, qui obtient l’Ours d’or à la Berlinale en 2009, réalise un second film riche en symboles : à l’échelle d’une jeune fille interprétée avec tact et pudeur par Magaly Solier, à l’échelle d’une population, ces femmes victimes de la guerre civile et que l’État ignore, à l’échelle d’une société qui rejette son passé dans ses marges lointaines et ses périphéries.
[1] En français, teta asustada est traduit par « lait de la douleur ».
[2] Dossier pédagogique de Zéro de conduite proposé par Susana Arbizu.
[3] Plus tôt, la réalisatrice fait un raccord entre le corps sans vie de la mère, des poulets morts suspendus sur le marché et Fausta qui surgit derrière.
[4] La fracture sociale mise en évidence se voit et s’entend puisque la langue la plus souvent parlée dans les périphéries pauvres est le quechua, alors que la bourgeoisie en centre-ville, elle, parle espagnol.