Claude Sautet, 1974 (France)
Deux ans après César et Rosalie, Sautet fait la chronique d’un groupe d’amis, Vincent (Yves Montant), François (Michel Piccoli), Paul (Serge Reggiani) et Jean (Gérard Depardieu). Les trois premiers ont la cinquantaine, le quatrième est plus jeune. Ils traversent tous des situations compliquées (tracas amoureux, couples déchirés, panne de l’écrivain) et le contexte de la crise de 1973 ne les arrange pas (difficultés financières, hésitations professionnelles). Vincent est le petit patron d’une entreprise de menuiserie mais son affaire fonctionne mal. Il hypothèque, emprunte, vend puis vit quelques temps dans le flou. François n’est pas moins dans la détresse. Il ne supporte plus les infidélités de sa femme (Marie Dubois) et, dans une scène assez crue, emporté par la colère, il finit par la violer (intérieur sombre, sans couleur, la caméra à l’épaule domine la jeune femme en plongée). De son côté, Jean s’engage dans un combat de boxe qui pourrait lui offrir une nouvelle perspective professionnelle. Sautet consacre une longue séquence à ce match. Sur les gradins, le groupe d’amis encourage Jean. Sa femme enceinte est aussi dans le public. Avec ce combat se révèle une lutte pour l’avenir dans laquelle tous sont lancés. Phrases suspendues, restées inachevées, durant tout le film, les dialogues hésitent comme les personnages. Ils expriment leur fragilité (par exemple lorsque Vincent rend visite à Catherine, son ex-femme interprétée par Stéphane Audran). Ensemble dans la maison de campagne de Paul, des instants heureux leur sont toutefois réservés, mais ils sont aussi parfois gâchés (le coup de sang de François à table). Entre eux, ils sont dans l’incapacité de s’aider (Vincent qui demande à Paul et François de faux témoignages pour son divorce). Ils restent cependant ensemble. Vincent espère que Catherine se remette avec lui. Vaine illusion sur laquelle se clôt le film. Il pleut à verse durant de longues séquences mais Claude Sautet ne laisse pas ses personnages (et nous non plus) perdre tout espoir. Dans le dernier plan (un travelling qui se finit par un plan fixe rapproché, l’affiche du film), les quatre amis dans la rue regardent plus loin.
Film générationnel. Il me bouleverse toujours autant.J’avais 24 ans. Les acteurs avaient l’âge de mon père.
En revoyant le film, je me rends compte beaucoup apprécier le talent qu’a Claude Sautet pour organiser l’inattendu, le surgissement des souvenirs favorisé par des choses insignifiantes, des gestes, une ambiance, quelque chose d’inhabituel dans le quotidien des personnages. C’est par exemple des personnes entassées dans un café, joyeuses et bruyantes à donner le vertige propice au rappel d’une humeur passée ; ou bien Vincent qui ferme une fenêtre brusquement avec l’averse et d’un coup c’est Catherine qu’il revoit en train de vider ses placards et le quitter. Sautet fabrique ainsi des correspondances assez sophistiquées que le spectateur saura plus ou moins intuitivement déceler.
Et puis il y a ce dialogue le dimanche autour du gigot où l’on discute évolution urbaine, privatisation des services publics (la santé) et marginalisation des plus défavorisés rejetés loin des métropoles. En quelques répliques et avant la colère de François vilainement visé par ses camarades, tout est dit sur l’époque. Vincent, François, Paul et les autres, est un film de crise, les années 1970, toutes les crises traversées par ses personnages.