La terre

Youssef Chahine, 1968 (Égypte)

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Dans un village du delta du Nil en 1933, les paysans subissent les contraintes des autorités pour irriguer leurs terres. En outre, le seigneur local envisage de faire construire une route afin que l’automobile arrive jusque devant les grilles de son palais, et cela sans se préoccuper de l’avis de locaux qui voient de ce fait leurs terres déchirées par le projet. Les notables (cheikhs, maires, effendis), qui obéissent aux colons anglais, sont vilipendés par des paysans qui se considèrent trahis. Le film montre d’ailleurs plusieurs manifestations anticolonialistes. Les hommes de la terre essayent ainsi de se défendre et de braver les interdits, mais à chaque fois les forces de l’ordre leur tombent dessus (coups de bâtons, prison, torture).

Inspiré d’un roman d’Abderrahman Cherkaoui, La terre est, après Le fil du Nil (1951), le second film de Chahine sur le monde paysan égyptien. La vision que le film propose est terriblement négative sur les chances accordées aux faibles de résister. L’évocation des révoltes anti-britanniques de 1919 (et celle du chef Saad Zaghloul aux côtés duquel le héros de La terre incarné par Mahmoud El Meligui s’est battu) fait écho à la révolution de 1952 qu’a connu le réalisateur ; la première entraîne la fin du protectorat anglais en Égypte en 1922, la seconde renverse le roi Farouk Ier et amène Nasser au pouvoir. D’après le film, la révolution de 1919 n’a pas amené de société plus juste, ni même, plus modestement, amélioré les conditions de vie des ruraux. Et malgré son adhésion au nasserisme dans les années 1950 et tous les espoirs républicains placés dans le gouvernement du raïs, Chahine craignit que la révolution de 1952 n’aboutît à rien de meilleur.

Chahine a été le premier à traiter des réalités sociales ouvrières en Égypte (Les eaux noires, 1956), La terre ne trompe pas non plus sur ses engagements politiques. Le ton réaliste, la limpidité du propos et les oppositions relevées (Le Caire et la campagne, ceux qui ont la terre et ceux qui ont le pouvoir) rappellent certains films de l’ère soviétique (La ligne générale d’Eisenstein en premier lieu, 1928). De la même façon, La terre valorise tous ces hommes (plans sur des visages heureux ou abîmés, diversité des caractères…) et met en évidence, malgré les temps difficiles, la chaleur qui peut naître des communautés paysannes.

Le documentaire de Mona Ghandou, Retour sur un cinéaste prodigue, qui accompagne le film dans la version que sort Pyramide Vidéo en octobre 2011, collecte à travers différents entretiens de ses collaborateurs des informations sur la façon de faire du cinéaste (travail avec les acteurs, attitude sur les plateaux de tournage, sa société de production…).

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