Sicario : la guerre des cartels (Sicario: day of the soldado)

Stefano Sollima, 2018 (États-Unis)

Le précédent sicaire a mené à bien sa mission. Et même davantage puisque Sicario en 2015 semble avoir surpris par ce qu’il a finalement rapporté. Il a surtout donné l’envie aux producteurs de créer une franchise et de livrer par conséquent au moins deux suites. Denis Villeneuve, le réalisateur du premier épisode, enchaîne entre 2016 et 2019 une période SF (Premier contact, Blade runner 2049, Dune) et laisse donc sa place. Les producteurs sont allés chercher Stefano Sollima, le réalisateur de la série Gomorra (2014). Comme Villeneuve avait sa propre équipe technique, pour la suite de Sicario, celle-ci change aussi (arrive par exemple Dariusz Wolski à la photo, dont le savoir-faire aux côtés de Ridley Scott est bien connu). Côté acteurs, Benicio del Toro et Josh Brolin reprennent leurs personnages. Emily Blunt, elle, n’a pas été jugée indispensable et disparaît du récit. Sollima dans un bonus trouve les mots pour décrire le rôle qu’avait l’actrice dans Sicario : elle servait de « passerelle » entre le milieu décrit dans le film et le spectateur. Emily Blunt était un intermédiaire dont les émotions devaient permettre au spectateur de s’identifier et de rentrer progressivement dans l’histoire. Pour La guerre des cartels, pas de filtre, pas d’intermédiaire. La passerelle saute.

En fait, le scénariste Taylor Sheridan est le véritable lien entre les deux films. Cependant, l’histoire qu’il propose, si elle ne répète pas les incohérences du premier épisode, n’est pas sans défaut non plus. En abandonnant une deuxième fois Kate Macer (le personnage joué par Emily Blunt), Sheridan reste cohérent mais se simplifie la tâche. Dans La guerre des cartels, il n’y a plus de personnage féminin fort (ce qu’était pourtant Kate Macer au début de Sicario), sauf Catherine Keener qui, entre le sénateur (Matthew Modine) et les hommes d’action (del Toro, Brolin), est surtout là comme un rouage dans la hiérarchie mais guère capable d’autorité. Pour ce qui est des autres femmes du film, entre la pauvre mère mexicaine et l’adolescente transportée comme un paquet et qui sert de prétexte à l’action (Isabella Momer), on repassera. Pourtant, le plus dérangeant ne vient pas de cette absence de femmes dans ce monde de barbouzes sur-armés.

C’est l’entrée en matière qui pose problème et une succession de scènes qui au début fabrique un mélange assez infect : la frontière américano-mexicaine et le passage du Rio Grande traversé par des migrants terroristes islamistes, une scène d’attentat suicide dans un supermarché avec mère et petite fille explosant face caméra, une scène de torture d’un pirate somalien dans un conteneur sur la Corne de l’Afrique et le recours aux gros bras par les politiques américains pour se salir. Cette première séquence, qui redéfinit la notion de terrorisme pour y inclure les cartels mexicains, mêle donc plusieurs sujets sensibles qui font l’actualité internationale mais qui n’ont pas grand chose à voir entre eux. Lorsque le personnage de Josh Brolin vient torturer un pirate somalien, personne à la réalisation ne souhaite s’encombrer du point de vue d’un tiers ni même mettre à distance l’action (on pense à la scène de torture mieux réfléchie de Zero Dark Thirty de Bigelow en 2012). Et dans le discours, c’est à peu prêt n’importe quoi puisqu’on reproche à ce pirate d’avoir laissé passer sans l’attaquer un cargo yéménite avec à son bord des terroristes d’État Islamique ayant débarqué au Mexique pour traverser la frontière et commettre des attentats aux États-Unis. Chef de guerre ou pauvre pêcheur, le pirate ne nous est pas présenté. Mais comment penser que ces pirates qui se déplacent en petites bandes sur le Golfe d’Aden, parfois sur des embarcations de fortune, peuvent être précisément renseignés sur le contenu, et a fortiori sur la clandestinité des passagers, des dizaines de bateaux qui empruntent tous les jours la mer Rouge et le Canal de Suez ? C’est d’une part ignorer l’étendue réelle de cet espace maritime et d’autre part associer bêtement le Yémen et la Somalie. Un peu aussi comme si tous les pauvres de la planète étaient ligués contre les États-Unis.

On entendra durant le film la véritable identité des terroristes du supermarché, des Américains et non pas des étrangers du monde arabe, mais l’information passe vite et la puissance d’une image aura vite fait de nous la faire oublier. Dans la séquence d’introduction, un plan nous a montré trois tapis de prière abandonnés au bord du Rio Grande. Les terroristes arrivent comme les barbares autrefois envahissaient l’empire. En outre, le film très soigné dans sa forme entretient un parfait climat d’angoisse. La musique n’est faite que de basses qui maintiennent le suspense. Les images de surveillance aériennes et par satellites, très nombreuses, ajoutent à l’idée d’une menace sourde. Tout le film cristallise sur cette frontière mexicaine pointée du doigt comme une faille dans la forteresse les pires « cauchemars » du moment : les pauvres migrants mexicains (davantage que les cartels eux-mêmes), les terroristes yéménites d’EI et les pirates somaliens mis dans un même bain, placés sur un même axe pourrions-nous dire. Sicario : la guerre des cartels, est également très performant dans ces scènes d’action, mais Taylor Sheridan, puisque c’est à lui qu’on le doit, n’en demeure pas moins très maladroit dans la description de certains aspects de son récit, voire tout à fait douteux sur le fond.

4 commentaires à propos de “Sicario : la guerre des cartels (Sicario: day of the soldado)”

  1. Cette fois, ayant vu le premier volet, je suis plus enclin à découvrir le second. Mais à te lire, Sheridan semble donner dans la psychose terroriste si chère au président orange. Pas très ragoûtant en effet.

  2. Sicario 2, c’est Sicario en mode mineur. Sollima y rejoue les mêmes scènes, mais sans qu’elles atteignent le degré d’intensité du précèdent volet. Une simple succession de fusillades et de plans d’ensemble sur des convois d’engins sillonnant les terres arides de la frontière mexicaine. Et les personnages perdent franchement en intêret – Alejandro, en particulier.
    Une déception.

  3. Un article paru en octobre dernier dans Courrier international, nous renseigne sur la multiplication des frappes par drônes en Somalie et sur la présence américaine dans le pays. Aucune connexion n’est faite entre les chebabs ou même simplement les terroristes d’EI et les fameux pirates.

    (« En Somalie, la guerre contre le terrorisme façon Trump » – The Atlantic – Washington)

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