Showing up

Kelly Reichardt, 2023 (États-Unis)

Lizzie est une artiste qu’il est difficile d’apprécier. Ce ne sont pas ses créations d’artiste qui sont en question. C’est sa personnalité. Aigrie, solitaire, elle n’a jamais une remarque positive. Rarement un mot gentil. Elle est rêche comme les statuettes qu’elle fabrique avant que celles-ci ne soient cuites et émaillées. En fait, son allure est très proche de celle de ces petites femmes en argile. Interprétée par Michelle Williams, elle a un chemisier simple et des jupes sous le genoux avec des sandales assorties. Une silhouette à deux trois couleurs pâles, pas plus. Teintes pastel. Visage renfrogné, fatigué, personnage mal à l’aise partout sauf chez elle. Si ce n’est leurs poses sur lesquelles la sculptrice joue son inventivité, au premier coup d’œil les statuettes dans l’atelier affichent la simplicité qui caractérise le quotidien de Lizzie. Pourtant certaines de ces œuvres accrochent l’œil, appellent à une observation fine et détachée, dégagent autre chose que de la simplicité. Kelly Reichardt filme le travail et, lors de moments essentiels pour l’artiste et ses créations, à l’atelier par exemple, la cinéaste prend aussi le temps de regarder ses gestes et les sculptures en train de se faire, le mouvement esquissé et figé dans la terre.

Mais Lizzy s’interrompt souvent. Le travail pour la résidence d’artiste que dirige sa mère (Maryann Plunkett), ses relations avec Jo sa voisine (Hong Chau) et ses préoccupations pour son père ou son frère l’empêchent souvent d’être à ses œuvres (Judd Hirsch et John Magaro). On pourrait donc trouver des raisons à son mécontentement, notamment encore un pigeon plein d’ironie dont il va falloir s’occuper. Le seul sourire qu’on la voit esquisser finalement c’est quand son père, lui même céramiste, porte un œil curieux sur son travail lors du vernissage. Que l’on ne se dise pas toutefois que Lizzy n’est que dépit et agacement. Elle est aussi pleine d’attention et de précaution pour ses œuvres, certes, pour le pigeon auquel elle a fini par s’attacher, mais surtout pour les siens, ce que l’on comprend malgré tout. Lizzy est d’autant plus difficile à apprécier que Jo est à l’opposé (enthousiaste pour elle comme pour les autres, patiente même face aux sévères reproches que lui fait sa triste voisine). Vient alors cet incident : une des statuettes sorties du four a noirci sur tout un côté. Eric chargé de la cuisson dit la trouver belle imparfaite. Il n’est alors pas difficile de faire le parallèle avec l’artiste en sandales.

« La chose intéressante avec cette sculpture c’est que pendant le tournage on a eu beaucoup de mal à décider à quel point elle devait être ratée. C’était très difficile de juger si l’œuvre était trop belle ou trop laide. Nous avons même dû stopper une journée de tournage, parce que la veille, je trouvais la sculpture pas assez endommagée et le lendemain je n’étais plus de cet avis. Tout le monde avait sa propre opinion. J’ai même fait venir mon coauteur sur le plateau [Jon Raymond] pour qu’il m’aide à décider. On a fini par opter pour une sculpture plus brûlée et plus endommagée. » K. Reichardt (Dossier de presse)

Toujours accompagnée par son coscénariste Jon Raymond, Kelly Reichardt a voulu filmer la vie d’une artiste et les interactions qu’il peut y avoir entre ce qu’elle crée et son quotidien (relevons un détail symbolique : le garage qui sert d’atelier entrouvert sur la rue). Commandés par le Centre Pompidou avant la rétrospective qui a été consacrée à la cinéaste en 2021, les deux courts métrages réalisés depuis First cow (2019) se penchent déjà sur le sujet. Bronx, New York, novembre 2019 montre Michelle Segre en train de s’appliquer à l’assemblage de structures multicolores en laine (on retrouve ces pièces dans Showing up). Dans Cal State Long Beach, CA, Janvier 2020, Jessica Jackson Hutchins et Alexander Demetriou manipulent la glaise avant de cuire leurs œuvres dans de grands fours. Ces courts font partis de la collection « Où en êtes-vous ? » du Centre Pompidou et sont dans le dvd du film édité par Diaphana. Pour Showing up, la réalisatrice dit aussi s’être inspirée des communautés d’artistes de Portland et de New York.

En dehors des portraits d’artistes, de Lizzy et de Jo, Showing up interroge en creux les conditions, ou le hasard, qui emmène un artiste à sortir de l’anonymat. La concurrence (qui ne dit pas son nom) entre les deux sculptrices incite à la comparaison. D’un côté, l’une et l’autre organisent leur propre vernissage mais Jo accède à un contexte plus favorable à sa propre reconnaissance d’artiste. D’un autre côté, le film dit aussi les vertus du collectif et les opportunités qui s’offrent aux uns et aux autres du fait de la seule interaction entre les individus (la résidence d’artistes et les rencontres permises d’une part, les autres liens qui unissent Lizzy et Jo d’autre part). Probablement sur ce point d’ailleurs, Showing up est-il plus optimiste que Wendy et Lucy (2008) ou Certaines femmes (2016). Kelly Reichardt ne s’intéresse pas à l’accession à la renommée, loin de là, plutôt au contraire au fil de la précarité. Petit job, loyer arrangé, chaudière en panne, famille d’un secours limité… Même si son chat a les croquettes qu’il réclame (mais pas d’oiseau), Lizzy ne connaît pas une situation des plus confortables. Et peut-être restera-t-elle cette femme aigrie et maladroite. Et peut-être est-ce suffisant pour l’apprécier, artiste modeste aux œuvres qui interpellent si l’on y prête attention. Pourtant dans le dernier plan, on la voit aux côtés de Jo, non plus à la recherche d’un pigeon libéré, mais avançant dans la rue et dans le fond de l’image.

4 commentaires à propos de “Showing up”

  1. Vu en salle et donc privé de deux courts-métrages commandé par Pompidou. C’est une très bonne idée de l’éditeur de les avoir ajoutés au DVD (que je dois donc désormais me procurer).

    Ton texte éclaire un point crucial du film de Reichardt qui consiste à relier l’artiste à son œuvre, la cinéaste à son actrice. On sait la relation privilégiée qu’elle entretient avec Michelle Williams, on sait aussi l’importance de sa collaboration avec Jon Raymond.
    Mais Reichardt, ce sont aussi des empêchements, des accidents et des égarements qui nous conduisent sur les chemins de traverse de l’Amérique. Elle nous invite à les suivre et, il faut bien le reconnaître, c’est un plaisir de s’y perdre avec elle.

  2. Je regrette encore de l’avoir laissé passer. Arte est mon dernier espoir. Il manque à mon intégrale Reichardt…

    Bon, en même temps, il faut que je rattrape Wendy et Lucy un de ces jours. Et je crois qu’avec ces deux films, je serai complet ! 🙂

    Dans toute la filmo de Kelly, tu le classes comment, celui-là ?

    • First cow avant les autres.

      Je ne connais ni River of grass (1994), ni Old joy (2006).

      Night Moves (2013) est à mes yeux plus imparfait mais ne me déplaît pas non plus.

      Showing Up m’a fait l’effet de Wendy et Lucy (2008), c’est-à-dire que je ne suis pas vraiment parvenu à le saisir la première fois (le quotidien filmé n’est pas particulièrement marquant et, sans y réfléchir ensuite, en passant à autre chose, la force du film m’échappe vite…). En revanche, la deuxième fois, tout s’éclaire. J’aime beaucoup Wendy et Lucy. Je placerais volontiers Showing up au même niveau (on suit un personnage « retenu » dans une petite ville dans les deux films).

      Showing up est toutefois plus optimiste, et cela me paraît nouveau dans la filmo de Reichardt. Peut-être cet optimisme est-il à mettre en lien avec le thème de l’art qui est aussi abordé ici pour la première fois.

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