Restless

Gus Van Sant, 2011 (États-Unis)

Malgré les producteurs (Ron Howard et Brian Grazer en tête), la musique (convenue ce qui n’est pas habituel chez Danny Elfman), la bande annonce (qui entretient le malentendu à propos d’une « comédie romantique adolescente », expression à saisir dans son acception la plus dépréciative), un ou deux bols de bonbons (le film n’est pas sans maladresses), Restless ne saurait se réduire à un cinéma fade fait de clichés autour d’un sujet sensible. Chez Gus Van Sant, il y a au moins la manière et la manière nous plaît.

Enoch (Henry Hopper) fréquente les funérailles d’inconnus parce qu’il vit avec le profond regret de n’avoir pu assister à celles de ses parents. Annabel (Mia Wasikowska), elle, fréquente les funérailles d’inconnus parce qu’elle s’apprête à mourir. La mort arrange donc la rencontre entre les adolescents et le premier qui l’a côtoyée accompagnera l’autre dans ses derniers moments. Entre eux, Hiroshi (Ryo Kase), le fantôme psychopompe d’un kamikaze de la Seconde Guerre mondiale. Non pas un ami imaginaire ou un pan détaché de la personnalité d’Enoch (le seul à pouvoir communiquer avec lui), non plus la traduction d’un malaise psychologique, mais bel et bien un fantôme, et avant cela un personnage à part entière. Sans craindre de détourner notre attention, Gus Van Sant l’amène véritablement à existence en une suite de trois plans qui rompent le récit un instant : d’abord une futilité énoncée par Annabel sur Nagasaki, soudain la bombe qui brusquement éclate dans le souvenir d’Hiroshi, puis dans une baignoire le fantôme prostré et sans repos. Avant cet enchaînement d’images, on doute de sa valeur et de sa réalité. Après, le fantôme est là, ré-apprécié. Son mystère a grandi et l’on s’intéresse à lui autant si ce n’est plus qu’aux deux autres. Le scénario nous surprend à accorder une telle place à cette troisième figure. Son rôle n’est pourtant pas seulement d’accompagner Enoch dans son errance ou de l’occuper avec des parties de batailles navales. Enoch laissera Hiroshi devenir le nocher d’Annabel, le guide de son trépas.

Aidée par Darwin qu’elle admire, la jeune fille est aussi une apprentie naturaliste qui accepte son état de mourante. Le choix de l’Alice de Burton, Mia Wasikowska, n’est bien sûr pas innocent. Van Sant choisit de plus avec évidence, mais sans insister, Halloween pour situer le récit dans le temps. Quelques autres signes parsèment le film et valorisent l’idée d’un passage dont la douceur ne doit avoir de comparable qu’une étreinte (par exemple, la caméra à fleur de peau dans la cabane d’un bois perdu).

Délicatesse et beauté au seuil de la mort : le romantisme développé rappelle celui de Bright star (Jane Campion, 2010). La caméra qui accompagne les jeunes gens filmés est incroyablement adroite. Elle sait avec pudeur prendre de la distance (l’ellipse, en trois plans toujours, quand le médecin annonce la mauvaise nouvelle) ou à l’inverse nous replacer dans l’intime (sur le bord d’un lit ou à la morgue). Certes, Gus Van Sant semble maintenant loin de la poésie sèche et métaphysique de Gerry ou de l’instant indéfiniment suspendu de Last days. Restless manque certainement aussi d’être subtil dans chacune de ses scènes. Il allie néanmoins un charme qui n’est pas tout à fait cette fois-ci hollywoodien à une exigence formelle capable d’exprimer le tangible et le fugace.

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