Rec 2

Paco Plaza, Jaume Balagueró, 2009 (Espagne)

 

DE LA LENTE PROGRESSION DE L’ÉPOUVANTE IBÉRIQUE

Effacé, depuis les années 1950, derrière la notoriété américaine et italienne du genre (Romero, Carpenter, Craven, Cronenberg d’un côté de l’Atlantique, Freda, Bava, Argento de l’autre), le cinéma fantastique espagnol est mal connu [1]. Seuls les noms de Buñuel (surtout en raison de ses débuts surréalistes et de ses titres mexicains) et de Jesus Franco (le pseudonyme porte déjà en lui toute la force d’un programme fantastique !) quittent les cercles d’initiés pour parcourir d’un frisson une plus grande audience. Tout autant capable du léger trouble que de la grande angoisse, apparaît au milieu des années 1990 un nuevo fantastico apprécié et exporté, qu’initient des cinéastes ayant à peine une trentaine d’années à l’époque. Les fers de lance du mouvement sont Alejandro Amenábar (Abre los ojos, 1997) et Alex de la Iglesia (El día de la bestia, 1995). Y participent aussi Juan Antonio Bayona (L’orphelinat, 2007), Jaume Balagueró (La secte sans nom, 1999, Darkness, 2002) et Paco Plaza (Les enfants d’Abraham, 2003). Le savoir-faire ibérique profite même des territoires hispanophones pour se diffuser (ainsi le Mexicain Guillermo del Toro fait souvent appel à des acteurs et des techniciens espagnols ; L’échine du diable, réalisé en 2001, est entièrement produit par des studios espagnols).

DU CINÉMA BIS DE CINÉMA BIS
Balagueró et Plaza, de leur propre aveu, font [Rec]2 suite à « l’enthousiasme déclenché » par [Rec] (2007). L’intention initiale n’était par conséquent pas de se lancer dans une série, encore moins de proposer un projet réfléchi et homogène qui aurait pu se développer sur plusieurs épisodes. Le scénario, dont la limpidité s’inscrit en parfaite opposition à l’obscurité filmée, est repris là où s’arrêtait [Rec] et la cohérence avec le premier film néanmoins respectée. L’action se déroule à Barcelone (dont on ne voit rien), dans le même immeuble placé En quarantaine (le titre est celui de l’appropriation américaine du premier volet, faite par John Erick Dowdle et rapidement sortie en 2008).

DÉCORTIQUER LA BÊTE
[Rec] est le résultat de la somme des principes suivants : un huis-clos, l’étrange mélange d’un prétexte médical (un virus qui se transmet par le sang et la salive) et d’un autre religieux (la possession démoniaque) [2] et le souci de véracité soutenu par le montage de ce qui n’est censé être qu’un corpus de documents originaux (point de départ du Blair witch project de Myrick et Sanchez, 1999). Issus de trois sources distinctes, les enregistrements vidéos sont réalisés avec des intentions différentes : l’Église associée à la force d’intervention locale (el Grupo Especial de Operaciones contractable en G.E.O.) fait un film afin de saisir le démon dans son environnement, la journaliste Angela Vidal (Manuela Velasco) cherche à informer tout en profitant de l’événement, les adolescents, eux, n’ont pour but avec leur caméscope que de créer du sensationnel. Aucun des protagonistes ne survit sauf le Mal et [Rec]2 ne sert aucun discours (notons juste la prégnance de l’Eglise catholique dans la culture espagnole servie par la figure du prêtre et une iconographie de décoration partout présente dans l’immeuble visité). Les personnages sont là pour multiplier les situations et l’on perçoit à travers eux l’envie des réalisateurs de ne pas répéter celles du premier épisode. Couloirs, conduits d’aération, mini caméras subjectives, lumière infra-rouge et croisement des points de vue (une fois dans l’immeuble, le film se découpe en trois parties : le G.E.O., les ados et l’arrivée d’Angela), voilà les procédés pensés pour la diversité…

L’horreur, qui n’est pas ici un leurre en vue d’une quelconque critique, est amenée par une tension dramatique plutôt soutenue. Le spectateur est dans l’attente et les fracas sonores, les brusques apparitions doivent, d’après les calculs des metteurs en scène, le faire sursauter. En cas d’inertie, les projections de sang et les zombies devraient susciter un peu de dégoût. S’il n’est pas amateur d’artifices, le spectateur s’ennuie…

Alien (Scott, 1979) et Aliens (Cameron, 1986) leur servant de références, Balagueró et Plaza ont voulu faire du choix de l’atmosphère ou de l’action la différence entre leurs deux produits. La synthèse médico-ésotérique (parasite visqueux glissant d’une bouche à l’autre et possessions dues à un « virus démoniaque ») témoigne du double trauma cinéphilique des années 1970, L’exorciste (Friedkin, 1973) et le huitième passager ayant nourri l’imaginaire de cette génération de réalisateurs. Enfin, la plastique appliquée (cadrages, photographie, angles de vue) est celle des jeux vidéos de type Alone in the dark et Doom like.

[Rec]2 est une petite chose certainement efficace pour un public bien ciblé. Il peut être une perte de temps pour d’autres ; une autre bêtise horrifique qui fait preuve de la technique acquise sur la péninsule ibérique…

[1] Voir le dossier « Le cinéma fantastique espagnol (1960-1976) » de Philippe Chiffaut-Moliard. Il était proposé sur le site Cine-studies qui n’est plus accessible depuis 2010.

[2] La confusion médico-religieuse est accentuée par le personnage du prêtre médecin (Jonathan Mellor) qui est appelé « docteur » Owen et porte le col blanc.

Note rédigée pour Kinok, juillet 2010.

Une réponse à “Rec 2”

  1. Après le succès (mérité) de [Rec], premier du nom (2008), voici sa suite qui en appelle de nombreuses autres : il y avait la saga des Saw, il faudra donc s’habituer à voir sortir régulièrement de nouveaux épisodes de l’immeuble de l’horreur ! Un troisième est d’ores et déjà prévu (le centre de Barcelone infecté ! On pense alors à 28 jours plus tard, Boyle, 2003 ; forcément…) et les auteurs ont annoncé qu’ils avaient suffisamment d’idées pour pousser le vice jusqu’à six longs métrages ! Y parviendront-ils sans s’essouffler et tout en sachant renouveler leurs scénarios de manière intelligente ? Ce qui est certain, c’est que le titre [Rec]6 sera forcément moins marrant que Saw 6 (et Saw 7 bien sûr ! Mais ces vannes-là sont déjà archi usées…).

    [Rec] était terrifiant et son final (une horreur totale) révélant les origines du mal, un virus qui frappait cet immeuble en plein centre de Barcelone, une sacré surprise et une vraie réussite ! Y avait-il forcément besoin d’une suite ? Pas vraiment, car même si le mal n’avait pas été éradiqué, cela laissait suffisamment de frissons et de mystère pour que l’on imagine nous-mêmes ce qui aurait pu advenir ensuite. Mais bon… lorsque le succès est au rendez-vous, il y a bien souvent une suite, au minimum. Et, à de rares exceptions près, de moins bonne qualité : celle-ci ne fera pas exception.

    On y suit maintenant une équipe de commandos équipés de caméras (cela fait énormément penser à Resident evil, le jeu) et accompagnés d’un représentant du ministère de la santé… Qui se révèlera être en fait un prêtre chargé de récupérer un échantillon de sang de Medeiros (pas Glenn ou Elli… Mais la possédée !) afin de pouvoir concevoir un antidote. L’immeuble est toujours en quarantaine, mais des jeunes ont trouvé le moyen de s’y aventurer en passant par les égouts… Bien mal leur en a pris ! [Rec]2 garde une tension constante du début à la fin, mais avec des moyens souvent très crispants : les flics et le prêtre sont constamment en train de se gueuler dessus, les jeunes pareil (« Mais non, arrête !!! On va se faire choper !! On rentre pas je te dis, mais t’es complètement taré !! »). Un peu énervant à la longue et procédé plutôt facile pour jouer avec nos nerfs ! Cette suite réserve son lot de sursauts, joue plus sur la claustrophobie et le surnaturel, mais l’effet de surprise en moins. Et par conséquent beaucoup moins effrayante que le premier épisode. Certaines scènes sont même presque rigolotes (sans que cela soit voulu !), en tout cas la surenchère de rebondissements dans le scénario est un brin « too much »… Enfin, il faut bien qu’il se passe quelque chose pour justifier la suite et les prochaines !

    On peut le dire maintenant (si vous ne voulez pas en savoir plus il ne faut pas lire !), la présence démoniaque triomphe une fois de plus et s’apprête à quitter l’immeuble, ayant déjoué intelligemment toutes les mesures de sécurité mises en place ! Honnêtement, la suite ne m’a pas apporté grand chose (encore que bien meilleure que Paranormal activity d’Oren Peli), mais je reste curieux de savoir si les prochaines prendront une autre forme : toujours tournées façon vidéaste amateur ou caméras de surveillance (ici l’infrarouge apporte quelques idées nouvelles pour filmer non pas le noir mais l’invisible !) ou bien cela ressemblera-t-il plus à un film d’horreur traditionnel ? « Suite au prochain épisode ! »

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