Gore Verbinski, 2006 (États-Unis)
Trois années durant en cale sèche, il était temps de se remettre à flot ! Jack Sparrow était un mort-vivant dans La malédiction du Black Pearl (Verbinski, 2003), c’est par conséquent en toute logique qu’il surgit, au début de ce nouvel opus, d’un cercueil flottant sur une mer noire. En outre, la barque de fortune est, comme l’est plus explicitement la marque noire qu’il porte bientôt sur la paume de la main, un indice sur le funèbre destin du capitaine. Sparrow débute l’aventure à fond de cale et finit englouti par les abysses, cela n’abîme pourtant en rien ses expressions de coquin ni ne dérange sa démarche chaloupée.
Un compas, le dessin d’une clef, une clef, un coffre, un cœur qui bat, sauver Jack, sauver Will, sauver Bill : les intentions multiples des protagonistes sont changeantes et discordantes :
« – C’est une clef.
– Mieux. Bien plus mieux. Le dessin d’une clef. A quoi servent les clefs au juste ?
– Les clefs… déverrouillent des choses ?
– Et quoi qu’cette clef déverrouille, à l’intérieur, il y a sûrement un objet de valeur. On va donc chercher à découvrir ce que cette clef déverrouille.
– Non, parce que sans la clef, on ne déverrouillera pas ce qu’on n’a pas encore à déverrouiller.
Alors à quoi servirait de trouver d’abord ce qu’il faut qu’on déverrouille, à supposer qu’on le trouve, avant même d’avoir trouvé la clef qui le déverrouille ?
(silence)
– Alors… Il faut d’abord trouver la clef !
– Ce que tu dis n’a aucun sens. »
La séquence qui se déroule sur la dernière île visitée est une merveille et la roue qui emporte les combattants et la clef de leurs désirs en une folle course est la métaphore idéale de ces quêtes de pirates (ou de tout aventurier) qui jamais ne finissent et qui s’avèrent en définitive assez secondaires pour la réussite du film. Les personnages (surjoués mais joliment interprétés) et leur mise en mouvement, si possible dans d’extravagantes circonstances, sont en revanche ici les indispensables clefs. La machine à rêves se remet en marche aussi grâce aux lourds filets de pêche qu’elle remonte comme si elle les avaient plongés dans les pages de Vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne. Les squelettes de la première malédiction ont fait place à un équipage tout incrusté de mollusques, de coraux, de coquillages et crustacés. Une murène sort d’un ventre, un autre a la tête d’un requin marteau. Gueule de poulpe et barbe tentaculaire, Davy Jones, capitaine du Hollandais volant, est visuellement le plus réussi. Les apparitions du kraken, ce léviathan qui ne fait des navires qu’une bouchée, sont également des moments exaltants.
Les orchestrations de Hans Zimmer changent légèrement de teintes. L’ambiance créée par l’orgue est majestueusement sinistre. Davy Jones devant les claviers et les tuyaux de l’instrument, comment ne pas penser au Fantôme de l’opéra que Terence Fisher associe en 1962 à la toccata de Bach ou bien au Phantom of the paradise de Brian De Palma (1975). Une mélodie portée par les cordes évoque la Danse des chevaliers de Prokofiev et ajoute de l’ampleur à la petite tragédie déployée.
Mêmes acteurs (Depp, Bloom, Knightley en figures de proue, à nouveau Jonathan Pryce, Jack Davenport et quelques autres, enfin Bill Nighy dissimulé sous les tentacules du visage de Davy Jones) et même équipe de production, sans vraiment mouiller l’ancre, le navire profite des vents en sa faveur pour notre grand plaisir. Je tire le tricorne.