Céline Sciamma, 2021 (France)
Petite maman, c’est un film sur Nelly, huit ans, qui vient de perdre sa grand-mère, et en arrière-plan sur Marion, la maman, qui vient de perdre sa mère. C’est peut-être tout ce qu’il est permis de savoir en allant voir le film et, à mon avis, c’est déjà trop.
Tous les films devraient rester secrets avant d’être vus et celui-ci particulièrement. Céline Sciamma met en scène, au sein du foyer, le vide ouvert par la disparition de la grand-mère. Et de ce vide jaillit de douces et tendres surprises. Après avoir rangé la chambre dans la maison de repos, il faut revenir vider la vieille maison familiale, un pavillon sans âge. Non qu’il soit très ancien, mais il est indatable. Accolée aux bois, sertie d’un tapis de feuilles d’automne, la villa ne date ni des années 1960, bien qu’un coin de tapisserie nous y ramène, ni des années 1980, même si le mobilier peut y faire penser. Céline Sciamma y place des décors de son enfance, mais s’adresse aux enfants d’aujourd’hui, et aux autres aussi. Le terrain d’exploration, maison et forêt, est un paysage intemporel et creux : chacun peut le remplir de ses propres souvenirs.
La fillette joue seule pendant que son père fait le tri dans la maison. Alors que la mère un peu perdue s’absente pour être seule, Nelly rencontre dans les bois une petite fille de son âge, Marion… sa mère. Le film a la simplicité apparente de l’enfance, son charme et sa magie. Comme dans Mon voisin Totoro (1988) ou Ponyo (2008) de Miyasaki, le fantastique surgit sans qu’il n’y paraisse et c’est très naturellement qu’il est accepté. Tout en calquant avec malice de petits effets sur Méliès ou plutôt Alice Guy et Germaine Dulac, femmes de cinéma des premiers temps que Sciamma n’oublie pas de citer, la réalisatrice de Naissance des pieuvres (2007) ouvre aussi un couloir temporel au bout duquel, mère et fille deviennent amies et sœurs. À travers le moment de deuil, Petite maman soulève discrètement les questions de l’identité et de la trace laissée. « Qu’advient-il de nous si l’on oublie qui l’on a été ? » demandait Pascale Breton dans le beau Suite armoricaine (2015). Il y a un peu de ça aussi. Et si au fond des bois, une cabane renfermait des réponses.
Célina Sciamma a voulu son film comme un « terrain de jeu » commun aux enfants et aux adultes. Cette fois, pour un film à voir en famille, on ne parle pas de différents niveaux de lecture, l’argument utilisé par les studios qui veulent asseoir parents et enfants sur le même rang de consommation. Loin de tout ça, Petite maman cherche à « inventer une nouvelle circulation entre les générations et les corps ». Les adultes et les enfants ont donc la même histoire devant les yeux, les mêmes éléments à disposition, les mêmes questions. En sortant de la salle de cinéma, je ne suis pas sûr que ma fille nous ait regardés différemment, mais je suis certain de la valeur que Petite maman a eu d’être vu ensemble, avec elle.
J’aime beaucoup la dernière phrase de ton texte.
J’espère avoir agi de même sur mes enfants quand ils avaient le même âge.