Nouvelle Vague

Richard Linklater, 2025 (États-Unis)

School of Rock
(ou quand le cinéma se souvient de sa jeunesse)

De Gaulle au pouvoir, la « tradition de la qualité » sur trop d’écrans, il fallait que la jeunesse descende dans la rue (avec une caméra) et fasse la (presque) révolution. C’est ainsi que, dès l’été 1959, Jean-Luc Godard faisait mai 1968 avec À bout de souffle, lui tout seul et quelques copains.

En réalisant Nouvelle Vague, Linklater refait ce premier film de Godard avec l’intention de raconter les débuts du projet, les difficultés de production, la liberté de mise en scène, le tournage, le montage, l’accueil, au moins celui que l’équipe des Cahiers du cinéma aura réservé à leur ami. Antoine de Baecque parle d’une démarche archéologique (L’Histoire, n°536). On pourrait parler de fétichisme. Richard Linklater a trouvé une façon de faire La Nuit Américaine (le film de Truffaut sur un tournage de cinéma) sans faire La Nuit Américaine.

Plus que d’autres réalisateurs, le cinéma de Linklater travaille sur le temps. Après avoir capter les changements d’une relation en trois bonds de neuf ans (la trilogie des Before, 1995-2012) et la vie d’un jeune douze années durant (Boyhood, 2014), voilà le Texan qui sur deux films sortis en 2025 (en tout cas en France pour l’un, aux États-Unis pour l’autre) cherche à capturer à l’inverse un temps court, quelques semaines de tournage en 1959 dans Nouvelle Vague, la seule nuit du 31 mars 1943 (le soir de l’avant-première de la comédie musicale, Oklahoma!) dans Blue Moon. Je ne sais pas encore ce qu’il a fait avec Blue Moon, mais il est évident qu’avec le remake imaginé du tournage d’À bout de souffle, Richard Linklater a trois objectifs.

1- D’abord, refaire le film fétiche en s’attachant au réalisme et aux moindres détails : non pas trouver des sosies, mais retrouver Godard (Guillaume Marbeck), Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg (Aubry Dullin et Zoey Deutch), Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer, Schiffman, Demy, Varda, les amis, Melville le mentor, Raoul Coutard l’homme à la Cameflex, Beauregard au porte-monnaie… et au final, non seulement le générique complet du film (ça va vite, l’équipe est réduite), mais aussi toutes les personnes qui ont gravité autour (là, c’est plus de monde), jusqu’au photographe de plateau et au stagiaire. De même, la démarche exige de punaiser la même carte postale et la même affiche sur le mur de chambre le plus ressemblant (recréer en studio car impossible dans L’Hôtel de Suède dans lequel Godard avait tourné), ainsi que de recréer Paris en 1959, retrouver les Champs-Élysées à l’identique, les mêmes voitures, etc.

2- Son deuxième objectif, faire l’autopsie du film (la démarche en devient nécrophile). Antoine de Baecque rappelle que la fabrication d’À bout de souffle est hyper-documenté et que Linklater a du se faire historien pour plonger à un moment ou un autre dans la masse d’archives : «  les lettres, les fragments de scénario, les bouts de dialogues, les témoignages ont resurgi et ont été récupérés. Encore récemment, Christie’s mettait aux enchères un ‘scénario d’A bout de souffle’, sans doute l’une des versions les plus complètes connues à ce jour »… Et de Baecque d’ajouter les photos innombrables et les reportages et articles de presse… Dans un entretien (pour AFC), David Chambille, le directeur de la photo, parle même des tickets et des bons de commandes pour les costumes ou le matériel acheté qui ont été retrouvés par l’équipe.

3- Au final, faire avec Nouvelle Vague un film de la Nouvelle Vague et pour cela adopter certains des principes de Godard. Un film autant que possible sans artifice. Ou en donner l’illusion, faire comme si on était en 1959 et que tout cela était spontané. Linklater et son directeur de la photo optent pour un tournage en noir et blanc, au format 4/3, sur pellicule sensible, ajoutent de la poussière à l’image pour le vieillir… Certains pourront parler de fétichisme et trouver ces choix complètement vains. Et pourquoi pas tourner carrément en Cameflex ? Et s’il faut recréer les conditions de tournage, pourquoi pas faire avec tous les imprévus et s’adapter, improviser etc. Parce que le cinéma est l’art de l’illusion, et de la juste dose, et que l’illusion suffit.

Le temps resserré du tournage, le producteur Beauregard sur le dos, les petites tensions entre Godard et Seberg, les interrogations de la script, le stress de l’expérience, tout cela permet de donner du rythme comme dans une bonne comédie. Et probablement le film doit son énergie aux contraintes que Linklater s’est imposé pour être au plus près de la « vérité historique ». Par ailleurs, les acteurs plaisent et leurs personnages sont drôles et délicieux (Godard, son ton, son florilège de citations et ses traits d’esprit, ou Belmondo qui s’en fout et s’amuse). Il y a un travail un peu bizarre sur les dialogues. Chacun a sa réplique dite au moment voulu, pas de chevauchement, peu de spontanéité, ce qui ôte au naturel pour le coup (peut-être à cause du réalisateur qui ne parle pas français ?). Ce n’est pas dérangeant, mais cela ajoute un filtre entre le spectateur et le film. Peut-être est-ce cela qui m’a empêché de mieux me greffer à cette troupe joyeuse et anxieuse.

« Je veux traîner avec la bande de la Nouvelle Vague » (R. Linklater, dossier de presse)

En revanche, une des grandes réussites de Richard Linklater, c’est de retrouver cette jeunesse et sa simplicité. Ils ne sont ni les icônes, ni les célébrités, ni les intellectuels qu’ils sont devenus après. On les croirait tout juste sorti de la fac. Chacun son individualité, ils n’en forment pas moins un groupe, sortent ensemble, rigolent, se soutiennent et s’encouragent. Linklater réalise là ce qu’il fait très bien (Dazed and confused, 1993, Everybody Wants Some!!, 2016, ou même Le Gang des Newton, 1998, et School of Rock, 2003) faire vivre une bande et rendre chacun familier, aimable, sympathique.

On pourrait parler de fétichisme, mais on ne le fera pas, car il n’y a pas de sacralisation de l’objet. Nous l’avons dit chacun des personnages est abordable. Aucun piédestal, aucune lourdeur, rien de solennel. Ce sont des jeunes. Alors de quoi parle-t-on ? D’amour. Dans le dossier de presse, Linklater lui-même parle de cet « acte d’amour ». Disons-le, ce film est un distillat de pure cinéphilie. De même, le temps serré de trois ou quatre semaines un été, une bande de copains : on pourrait croire à un film de vacances, à un souvenir de jeunesse. Mieux, c’est le cinéma qui se souvient de sa jeunesse.

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