Robert Eggers, 2024 (États-Unis, Royaume-Uni)
Au troisième film vu de Robert Eggers, j’ai confirmation que la sensibilité de l’Américain de Nouvelle-Angleterre n’est pas la mienne. La sorcière, le Viking mystique, le vampire, sans compter le récit autour d’un phare auquel j’ai pour l’instant échappé mais qui, de ce que j’en sais, pourrait avoir quelque tentaculaire accointance avec Le Bateau blanc jadis cauchemardé par Lovecraft (1919), l’univers invoqué par Eggers avait pourtant de quoi réveiller dans les sous-strates de ma personne de très déraisonnables attraits. Il a d’abord été question de la communauté de Salem au XVIIe siècle (The Witch, 2015), puis Eggers s’en est allé accrocher son phare à un roc en bout de siècle (le XIXe) au large de Providence ou d’ailleurs (The Lighthouse, 2019). Ensuite l’imagier des profondeurs a plongé dans les âges sombres neuf ou dix siècles plus tôt pour extirper la bête vengeresse d’une poitrine viking (The Northman, 2022). En cherchant la compagnie du Nosferatu germanique, dans la ville fictive de Wisborg, en 1838 comme l’a voulu Friedrich W. Murnau, et dans des décors réalistes (bâtiments pragois et vieilles rues de Lübeck, château roumain de Hunedoara…), Robert Eggers se montre à nouveau soucieux de vraisemblance (idem avec les costumes et les coutumes). Mais à quoi bon ce crédit historique ? Il le broyait dans ses représentations délirantes dans The Northman. Il n’est pas davantage utile pour adapter un siècle après le chef-d’œuvre expressionniste de Murnau, Nosferatu le vampire (1922). Les intentions du réalisateur faites d’exigences et de velléités historiques se perdent en incohérences et l’expressionnisme, ses représentations étranges, sa psychologie tordue, son grain fabuleux, il n’en retrouve jamais la trace.
Ce Nosferatu-ci n’a pas grand-chose à montrer. Le plus surprenant a été vu ailleurs. Les meilleures idées visuelles sont empruntées aux maîtres vampires, les illustres prédécesseurs. Ainsi, en premier lieu, les ombres de Murnau qui d’un mur à l’autre glissent et trouvent à ouvrir les portes. Les ombres expressionnistes sont attendues, Eggers les met en scène mais sur une image trop lisse, numérique, étalonnée, d’un anthracite terne et industrialisé ; les ombres en deviennent volatiles et ne tiennent pas la comparaison avec les ténèbres d’origine, avec celles qui ont marqué la pellicule d’un art encore tout jeune. La bestialité du comte Orlok (Bill Skarsgard) et l’indécence érotique d’Ellen viennent quant à elles du Dracula de Francis Ford Coppola (1992), la seconde est toutefois exacerbée sans subtilité par Eggers et son actrice (Lily-Rose Depp) ; loin les discrets symboles art nouveau de Coppola. L’étreinte qui élève Orlok et sa proie dans les airs copie le baiser que donne Lestat de Lioncourt au désespéré Louis avant que ce dernier ne renaisse à la nuit dans Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994). Encore, la peste qui débarque à Wisborg et le décorum macabre qui s’y installe puise dans l’opalescente adaptation de Werner Herzog, Nosferatu, fantôme de la nuit (1979). Et entre ? Au mieux quelques plans (le diable mort sur Ellen et les fleurs séchées), au pire des scènes affreuses (Thomas Hutter et le coche), des redites se rapportant au corps féminin possédé (The Witch bis plutôt que Possession d’Andrzej Zuławski, 1981, dont le réalisateur pourtant se réclame) et un récit que l’on suit toute conviction abandonnée.
Créature habituellement capable de toutes les mues, le vampire d’Eggers ne fait jamais peau neuve. Ainsi vidé (de propos, de sens, d’intérêt), le peu qui reste dans ses veines coagule et finit par sécher. À comparer, je trouve ce Nosferatu mieux que Dracula Untold et ses légions de chauve-souris guerrières (Gary Shore, 2014), certes, mais je préfère aussi largement la fantaisie drôlatique de L’Ombre du vampire (E. Elias Merhige, 2000) qui donnait à sa manière un compte rendu du tournage de Murnau (Willem Dafoe y interprétait le génial et mystérieux Max Schreck et n’avait pas encore endossé le rôle du scientifique proscrit, amateur de Paracelse et de Sendigovius, tenace adepte de l’Art d’Hermès et connaisseur de la chose vampirique). On est alors tenter de secouer énergiquement le corps sans vie une dernière fois et les yeux convulsés de se laisser posséder pour une folle interprétation géopolitique : Orlok le tyran du Grand Est, l’oppresseur de l’Orient comme de l’Occident, aux allures de cavalier (néo-) cosaque avec sa moustache épaisse, sa toque et sa houppelande noire, ne désignerait-il pas pour l’Américain quelque ennemi réel ? Vlad Tepes prête sa vieille carne de vampire à un autre Vlad à la longévité menaçante. Vlad Poutine sort de ce corps.
On dirait que ce film Nosferatu a une descendance meilleure ,si on juge ceux qui l’ont précédés.
Le mérite de ce genre de film est de donner du boulot à techniciens et à la figuration pour sa fabrication et de rappeler l’existence du film original.
Pas encore vu celui-ci, par contre je souhaitais t’encourager à tenter The Lighthouse un de ces quatre. J’ai détesté The Witch et The Northman, mais ce Lighthouse m’avait totalement embarqué dans son ambiance.
Merci pour le conseil. Je n’y avais pas totalement renoncé espérant, peut-être à tort, un peu de matière indicible inspirée par Lovecraft.