Christophe Honoré, 2009 (France)
L’affiche, vilainement publicitaire (« VIVEZ LIBRE »), et l’étiolement de Léna (Chiara Mastroianni, belle malgré tout) voudraient considérer l’individualisme roi de nos sociétés modernes et en montrer les dégâts sur la famille et l’humain. Pas de dénonciation néanmoins car Honoré pourrait bien nous attribuer le rôle de ces cathares redéfinis par Augustine, la fille de Léna, « ces gens innocents et purs qui mettaient la honte aux autres ». Ne jugeons donc pas de peur de faire honte aux personnages et de les pousser à la mort. Car cette dernière et le diable sont bien là. Dès le début, Léna perd son fils en pleine gare et la perte, associée dans cette scène à un oiseau bientôt mort, installe une toile de fond quelque peu morbide. De même, la séquence bretonne, après l’écroulement d’un Louis Garrel amoureux, cite le diable emportant Katell, l’insatiable danseuse…
Il n’est pourtant pas aisé de garder ses distances et d’être impassible aux décisions de Léna ou au comportement de Frédérique (ventre rond, noyée dans la fumée de ses cigarettes ; Marina Foïs, à l’interprétation remarquable). Tableau d’un enfer en famille, tous les couples aussi se disputent ; Léna et Jean-Marc Barr, Marina Foïs et Marcial Di Fonzo Bo, Marie-Christine Barrault et Fred Ulysse. Si les parents s’en tirent mieux, leur amour, du propre aveu de la mère, n’a toutefois pas résister au temps. La tragédie familiale se déploie un peu comme se déployait celle mise en scène par Arnaud Desplechin dans Un conte de Noël. La relation vient à l’esprit quand le père, après une chute de vélo, se traîne jusqu’à un arbre pour s’y appuyer et se met à penser à ses enfants (d’abord à haute voix puis, son visage absent toujours dans le champ, en voix off). C’est à Abel-Jean-Paul Roussillon qu’on le compare, lui qui nous parlait de son fils mort. Léna sœur de Mousse ? On se pose également la question tellement les deux personnages, Chiara Mastroianni chez Honoré, Isabelle Carré chez Ozon (Le refuge, 2009) ont des points communs. A moins qu’il ne s’agisse de la même personne, l’une à son premier enfant (abandonné pour se chercher elle-même), l’autre divorcée avec deux enfants qu’elle ne garde pas.
Le métrage d’Honoré paraît d’abord confus : beaucoup de personnages à qui il accorde un égal développement, des promenades sur des sentiers secondaires et puis ces relations compliquées qui se tissent autour de Léna. Passé une heure, la sublime séquence bretonne nettoie l’ensemble comme un déluge (les longs pleurs de Léna suivront) et apporte une clarté nouvelle au récit. Non ma fille, tu n’iras pas danser, c’est une privation pour cette mère sans repère : pas de stabilité, pas de famille, pas de bonheur. « VIVEZ LIBRE », oui, mais vivez seul (ce que ne dément pas l’affiche).
Christophe Honoré s’éloigne un instant de Paris (de moins en moins au centre : Dans Paris, Les chansons d’amour, La belle personne), la Nouvelle Vague a laissé un peu de sel sur sa pellicule (ses libertés de narration, certains acteurs, une histoire simple comme un proverbe rohmérien), le film est sombre et superbe.
Très certainement un des moins bons films vus en salle cette année (remarquez que je ne parle pas de « plus mauvais » tout de même, la nuance est importante !)… Ce nouveau Christophe Honoré cumule en effet si ce n’est des défauts, des effets de style bien agaçants (je ne comparerai pas avec sa filmographie passée puisque je n’ai pas vu les précédents Dans Paris en 2006 ou La belle personne en 2008).
L’histoire ? Euh, quelle histoire ?! Ah si, celle de Léna (Chiara Mastroianni), qui élève plus ou moins bien ses enfants depuis sa séparation avec Nigel (Jean-Marc Barr). Et ses relations avec sa famille (sœur, parents…). « Oui mais le sujet ? » me demanderez-vous ! Il n’y a rien de plus : pas de début ni de fin, juste une tranche de vie de cette (belle ?) personne… C’est un peu léger comme idée de départ me direz-vous, certes, mais cette chronique de mœurs, rondement menée, aurait pu néanmoins faire un bon film sur les sentiments, les relations familiales, les doutes… Malheureusement, rien de tout ça. D’autant plus avec les acteurs cités plus haut qui ne sont tout de même pas les premiers venus, et auxquels en plus viennent s’ajouter entre autres Marina Foïs et Marie-Christine Barrault ; ça fait quand même du beau monde… Malgré un ton juste et plus vrai que nature, cela ne suffit pas.
Du début à la fin, le film ressasse des rancœurs familiales insupportables qui nous pousseraient presque à crier, si l’on ne savait se contenir, « ça va, moi aussi j’ai ma dose avec ma famille ! »… Situations conflictuelles interminables, dialogues de sourd ou chacun veut le dernier mot, prises de tête et de bec à n’en plus finir : Non ma fille, tu n’iras pas danser se résume à ça et donne envie de mettre des claques à tout le monde ! Si le but était d’agacer, c’est réussi ! De même, Chiara Mastroianni est particulièrement grinçante en femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, idem pour Marina Foïs en rabat-joie névrosée… Et au beau milieu du film surgit une scène sensée imager le propos de manière métaphorique (d’où le nom du long métrage) et surtout très intellectuelle : celle de noces traditionnelles bretonnes où une jeune femme cherche désespérément son futur époux en entraînant les hommes un par un à la mort par épuisement dans une danse interminable. L’idée aurait pu être bonne, sauf que la scène tombe comme un cheveu sur la soupe et au lieu de ne durer qu’une poignée de secondes ou de minutes, elle se prolonge dix bonnes minutes avant de revenir brutalement dans l’univers maussade et urbain qui la précédait ! Enfin, dix minutes j’exagère peut-être (mais peut-être pas, car ça dure une éternité) car j’ai aussi eu l’impression que le film durait trois heures, alors qu’il en fait moitié moins…
@ Ludo: Dans Paris est lamentable. On parle d’hommage à la Nouvelle Vague. Honoré n’honore pas. J’ai sincèrement cru que c’était un pastiche d’A bout de souffle au début, puis je ne savais plus trop à vrai dire. Une sorte de collection de clichés pour incarner la représentation de ce qu’est un film français pour un étranger non cinéphile. D’ailleurs hilarant ; nous citons encore des répliques cultes entre compagnons d’infortune qui eurent un jour la mauvaise idée d’aller le voir.
J’ai donc une franche aversion pour ce réalisateur et je mets en garde, c’est un imposteur.
Je n’ai vraiment pas été conquis par ce film. Une nouvelle fois, Honoré fait du cinéma maniéré, prétentieux, mou, narcissique.
Il faut que je réagisse quand même.
@ Marion, je ne vois pas dans Honoré un imposteur. Il sait lui-même ce qu’il emprunte à la Nouvelle Vague, tente des choses différentes et ne se fait pas passer pour autrui.
@ Wilyrah,
« maniéré » c’est une péjoration pour « complexe ». Une réalisation complexe, même sophistiquée, du moment que l’on s’écarte de la banalité, c’est toujours intéressant, non ?
« Prétentieux » et « narcissique »: l’insensibilité du spectateur devant la manière amène assez souvent à dire de l’objet qu’il est un miroir pour l’auteur (« cela n’intéresse que lui », « il se regarde faire ») ; je ne crois pas que l’on en soit là avec Honoré. Il me semble qu’il expérimente et que cela fonctionne plus ou moins bien. Et si certaines réalisations sont « molles » ou plus faibles (c’était un peu mon sentiment pour La belle personne), qu’importe, au moins, lui les réfléchit.
C’est marrant, tu n’as pas aimé le seul film de Honoré que j’ai apprécié (La belle personne). On doit avoir une sensibilité différente. Et ne détourne pas mes propos, je trouve ça prétentieux parce que ça se donne de l’importance alors que ça n’en a pas, je ne trouve pas ça complexe du tout et au contraire très banal. Quant à sa réalisation, elle est plate et molle. Et les interprétations de Chiara Machin et Marina Foïs sont très maniérées et peu crédibles. Leur jeu est très « regarde-moi je mérite le César, je suis trop affectée ».
Désolé mais sur le sujet, je pense que nous avons une vision totalement opposée, le cinéma d’Honoré m’insupporte car je le trouve banal et très fier de lui-même, je trouve qu’il se fout de nous. Je rejoins assez ce que dit Marion un peu plus haut. C’est ma vision des choses. Je comprends que d’autres aiment mais ce n’est pas mon cas 😉
C’est entendu Wilyrah !
Si si, j’ai quand même aimé La belle personne, juste un peu moins que les autres !
J’aime beaucoup le cinéma de Christophe Honoré depuis que j’ai vu Dans Paris que je considère comme un grand film. Je rencontre très souvent des avis qui ressemblent à ceux de Marion : un rejet féroce. Rejet que l’on retrouve pour ses films suivants dans les blogs que je lis (Orlof et Nightswimming pour ne citer qu’eux) ou sur des sites de cinéma comme Chronic’art ou L’ouvreuse. Je constate souvent que ce qui agace ses contempteurs est que l’histoire est banale, concerne des bourgeois parisiens et qu’au fond, on s’en fout de leurs petits problèmes. Facile (et compréhensible) d’y voir un cinéma prétentieux. Pourtant, c’est loin d’être le cas, Honoré ne se regarde jamais filmer. S’il est prétentieux, il est aussi ambitieux et tente (et réussi selon moi) de recréer des formes de cinéma qui ont fait la gloire du cinéma français. C’est un formidable directeur d’acteurs (et Louis Garrel dans La belle personne me fait écrire qu’il est un immense acteur). Enfin, je trouve que ses films arrivent à saisir un moment de la jeunesse, celui où nous sommes déjà des adultes partagés entre la fougue des années passées et l’image de notre futur que nous renvoient nos parents. Il traite toujours délicatement la confusion des sentiments, les histoires d’amour (qui finissent mal) y sont poignantes. Bref, moi j’ai beaucoup aimé Non ma fille…
@ Nolan: J’ai même d’habitude un faible pour les intrigues peuplées de bourgeois, parisiens ou non, et ce moment de la jeunesse dont vous parlez m’est très familier, il me plaît de le voir représenté à l’écran. Mais Honoré ne me parle pas pour des raisons stylistiques. C’est l’image, le son, la succession de deux ou trois scènes qui créent cet effet de fraude en moi mais qui, en même temps, fait presque une excellente parodie. L’intrigue sur le papier me parlerait bien plus j’imagine.
Pour nuancer mes propos, j’ai beaucoup aimé Marie France Pisier dans Dans Paris.
La belle personne, sur le papier, me plaît. D’ailleurs je l’ai vu comme on ne peut s’empêcher de regarder un mauvais téléfilm tout en s’imaginant le chef-d’œuvre qu’il aurait pu être si la direction avait été meilleure.
J’ai conscience de ne pas expliquer mon rejet suffisamment.
Seulement quelques mots sur ce beau film pour dire que :
– Christophe Honoré s’explique sur le VIVEZ LIBRE de l ‘affiche, c’est une idée de pur marketing qui lui déplait, ce n’est pas le film, ce n’est pas son esprit que de vouloir imposer quelque chose au spectateur. A la fin du film, rien n’indique que l’émancipation, l’affranchissement va permettre à Léna de mieux vivre. Elle perd ses enfants cette fois réellement. C’est plutôt de la difficulté d’assumer cette liberté dont il nous parle alors qu’elle avait choisi de vivre seule avec ses enfants, de prendre le temps de s’occuper enfin d’eux.
– Christophe Honoré nous parle des familles et de leur héritage dans ce film, du théâtre (et donc des secrets, des cours et des jardins, des scènes à deux, à trois, de groupe) que sont ces maisons de familles où l’on se construit un rôle.
– Christophe Honoré nous parle à travers du portrait de ces trois femmes de la difficulté pour les femmes d’aujourd’hui de vivre ce qu’elles ont conquis sans que ne finisse de l’assumer la société. On leur dira toujours « Non ma fille… ». La belle audace que d’insérer cette longue parenthèse bretonne (on pense au Cheval d’orgueil de Chabrol) qui finalement nous dit bien que les légendes sont toujours là enfouies dans notre inconscient et façonnant notre imaginaire qui rejaillit sur la réalité : Léna est bien seule pour assumer son choix et on finira par la culpabiliser, tandis que sa sœur se rétractera sans doute comme l’avait fait jadis sa mère (immense Marie Christine Barrault, grande comédienne de théâtre, chargée de tout son passé de cinéma et pourtant comme on l’a rarement vue sur grand écran).
C’est je crois un film très riche, d’une grande fluidité de mise en scène et comme toujours la direction d’acteurs chez Honoré est impeccable.