Ni Dieux ni maîtres

Éric Cherrière, 2025 (France)

Pourquoi le XIIIe siècle ? Parce qu’il permet une évocation des croisades. Le seigneur Ocam est un ancien croisé. Il parle à sa prisonnière de la prise de Constantinople (1203-1204) et de son plaisir d’avoir donné la mort tout au long de sa vie. Le choix de la quatrième croisade n’est pas fortuit. C’est la croisade détournée, la croisade fratricide, celle qui plus ouvertement que les autres était motivée par l’appât du gain, si peu spirituel mais amplement matériel (argent, terres et contrôle de places économiques). Ocam est un horrible personnage et Pascal Greggory le joue de manière subtilement cruelle. Son nom même semble antinomique. Ocam fils de Guillaume « de » Ocam : le nom rappelle le franciscain du XIVe siècle, Guillaume d’Ockham, voire le personnage Guillaume de Baskerville qui s’en inspirait (dans Le nom de la Rose d’Umberto Eco), le premier philosophe illustre, le second incarnant la mesure et la raison, tous deux loin de l’ignominie du seigneur de Ni Dieux ni maîtres. En 1215 précisément, ancien croisé et petit seigneur, Ocam dirige ses terres et ses paysans depuis son château. Entouré de ses compagnons d’armes et de sa femme (Flore Grimaud), tous pervertis (l’un d’eux pédophile qui plus est), Ocam s’adonne à ses pulsions, et Éric Cherrière de raviver le droit de cuissage comme élément déclencheur du récit.

Pourquoi le XIIIe siècle ? Pour lever un groupe de villageois contre l’injustice car à cette époque tous les seigneurs étaient infâmes et cruels. Ni Dieux ni maîtres se nourrit de mythes (le droit de cuissage qui n’a jamais existé) et le Moyen Âge dont il est question (avec ses intérieurs sombres, ses lépreux, ses orgies seigneuriales) jamais ne se défait des ténèbres. Pas d’église, ni de guide spirituel. Un des sages du lieu, le premier à faire valoir la raison sur la violence, c’est l’ancêtre (Jean-Claude Drouot) qui est percé d’une épée de s’être opposé à Ocam.

Le manichéisme décrit convient cependant à un film qui tient beaucoup du jeu de rôle. Tous les personnages sont archétypaux. Laure, la jeune fille qu’il faudra sauver des griffes du seigneur (Jenna Thiam), se démarque par sa beauté et ses connaissances de la nature. L’arrivée de l’Arabe ferré (Saleh Bakri) peut rappeler l’étranger parvenu à s’évader (alors interprété par Morgan Freeman) dans le Robin des Bois de Kevin Reynolds (1991). Lui fait le choix de ne plus ôter aucune vie. Les quatre partis à la rescousse de la fille sont aussi identifiés par leurs armes : le grand marteau, la chaîne, le bâton de combat, l’épée… Ajoutons la veille guérisseuse (Édith Scob) qui les guide dans la mission à accomplir. Par ailleurs, dès le début, les acrobaties du premier combat quittent le réalisme médiéval et se risquent à prendre pour modèle Le pacte des loups de Christophe Gans (2001).

Le sauvetage au pas de course, les paysages d’Occitanie traversés, le territoire des maraudeurs, le château assailli… Le film est naïf mais s’assume. Il offre aussi un ou deux moments suspendus et quelques belles ambiances nocturnes. Le casting est de choix. Ni Dieux ni maîtres est court (78 minutes) et sans prétention (ni grands moyens, ni lyrisme, ni morale). Dans ces conditions, exceptionnellement et sans faire d’histoire(s), on peut céder au Moyen Âge fantasmé.

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