David Fincher, 2009 (États-Unis)
L’étrange histoire de Benjamin Button paraît déjà comme un « classique » du cinéma américain. Du haut de ses 2h35, il fait partie de ces longues épopées, de ces grandes fresques cinématographiques narrant l’histoire d’une vie qui traverse le temps et les époques.
En ce sens, Benjamin Button peut être rapproché de Forrest Gump (Zemeckis, 1994). Tom Hanks racontait l’histoire de sa vie hors du commun à une inconnue sur un banc en attendant le bus. Ici, à la Nouvelle-Orléans, c’est Daisy qui vit ses dernières heures sur un lit d’hôpital (alors que l’ouragan Katrina approche) et fait lire à sa fille les mémoires de son ancien amant, Benjamin Button. Les souvenirs indélébiles de toute une vie resurgissent alors, un peu comme dans Titanic (Cameron, 1998), lorsque Kate Winslet, dans la peau de Rose DeWitt Butaker, se souvient de son impossible idylle avec Jack Dawson.
Fincher filme différents lieux (la Nouvelle-Orléans, New York, Pearl Harbor, la Russie, Paris…) à différentes époques et le récit, qui s’étale de 1918 à nos jours, comporte son lot de personnages pittoresques, dont beaucoup sont amenés à disparaître. Dans Forrest Gump, c’était le militaire Benjamin Bufford-Blue qui rêvait de pêche à la crevette ou le lieutenant Dan Taylor, vétéran de la guerre du Vietnam, qui finissait sur une chaise roulante… Chez Fincher, c’est le capitaine Mike, un fier tatoué porté sur les filles et l’alcool, ou Mr. Daws, un retraité qui ressasse son foudroiement répété sept fois (des passages très drôles !). Dans cette galerie de personnages qui ont marqué, d’une façon où d’une autre, la vie de Benjamin Button, n’oublions pas Elizabeth Abbott jouée par la fabuleuse Tilda Swinton. Habillée et maquillée à la mode des années 1940 ou 1950, elle est lumineuse. Enfin, comme Forrest Gump, Button connaît une histoire d’amour complexe. Dès l’enfance, l’amour unit Benjamin et Daisy (sublime Cate Blanchett) mais les chemins qu’ils empruntent les amènent d’abord à se séparer, puis à se croiser, à nouveau à se quitter, etc. Ils restent ainsi tant bien que mal liés plusieurs années, notamment par l’enfant qu’ils mettent au monde (incarné bébé par la propre fille de Brad Pitt, Shiloe Jolie-Pitt).
Ce long métrage, hollywoodien (budget colossal, rempli de bons sentiments, cible « grand public » pleinement assumée…), impressionne par les moyens qu’il déploie. Les reconstitutions d’époque se veulent très réalistes et les effets spéciaux servent une photographie très soignée (les images sont très léchées et les flash-backs imitent les documents d’archives).
Evidemment, l’essentiel, « l’attraction », reste le mystérieux personnage de Benjamin Button, joué par pas moins de sept acteurs (!), jeunes ou vieux selon les âges de la vie, sur lesquels les maquilleurs et les trucqueurs se sont appliqués de longues heures. Des effets spéciaux révolutionnaires ont été nécessaires. Le personnage est donc réussi et l’incarnation de Brad Pitt, sobre, juste, est excellente (approchant de la cinquantaine, la ressemblance avec Robert Redford est frappante ! D’ailleurs, ce dernier avait au départ été pressenti pour jouer le personnage à cet âge). Au-delà de l’acteur, l’énigmatique Button, son étrange anomalie génétique, son rajeunissement progressif, attire toutes les attentions.
Un très beau film, un mélodrame historique et fantastique réussi, aux antipodes d’Alien 3 (1992), Fight club (1999) ou Panic room (2002), L’étrange histoire de Benjamin Button est peut-être le projet le plus ambitieux de David Fincher mais aussi le plus abouti.
Je suis globalement d’accord avec ta chronique. J’ajouterai que David Fincher s’est également largement inspiré de Jean-Pierre Jeunet (Alien, la résurrection, 1997, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, 2001) pour certaines séquences (l’accident de Daisy par exemple). Ce film est plaisant à regarder meme si je pense que ce n’est pas le meilleur de Fincher. Par contre, bravo à Cate blanchett pour son interprétation magistrale de Daisy !
C’est un chef-d’œuvre. David Fincher maîtrise parfaitement ce film. On prend conscience d’énormément de choses, c’est très bien raconté. Cate Blanchett et Brad Pitt forment un très beau duo. A ajouter dans sa « DVDthèque » dès sa sortie.
Je suis totalement d’accord, à part avec ta dernière phrase mais bon. Fincher est incontestablement le maître depuis un bon bout de temps. Rien à dire.
La dramaturgie temporelle et génétique est racontée avec une sincérité époustouflante.
Mon seul regret, c’est juste la partie trop courte où B. Pitt est en extase avec C. Blanchett, la partie où ils ont à peu près le même âge, magnifique mais abrégée.
Retour sur « l’argument onomatopéique » (le « beurk »), comme quoi il est parfois nécessaire de voir les films avant d’en donner un avis…
Le terme d’ « épopée » ne convient pas à L’étrange histoire de Benjamin Button. Il n’y a rien de véritablement historique dans ce film ni même d’héroïque (pas d’exploit accompli par le personnage principal si ce n’est qu’il incarne lui-même cet « exploit »). Fincher évoque bien la liesse d’une population à la fin de la Première Guerre mondiale ainsi que l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Mais il ne retrace pas le XXe siècle des États-Unis comme Zemeckis le faisait avec Gump. Il s’agit davantage de jalons qui permettent de situer le récit dans le temps et de découper la vie racontée en grandes étapes. Le premier conflit mondial pour débuter et donner du sens à l’invention de cette horloge géante censée remonter le temps (et ramener les soldats perdus à la vie). De même la liesse de la population que l’on pourrait rattacher, en oubliant la fin de la guerre, à la joie habituellement procurée par une naissance, à plus forte raison si celle-ci est exceptionnelle (miraculeuse ?). La participation à la bataille dans le Pacifique marque une période charnière dans la vie de B. Button, le milieu de sa vie et la première des deux fuites qui, de son initiative, le sépare de Daisy. Donc pas d’Histoire dans celle de Benjamin.
Toujours en opposition à Tom Hanks – Gump, Brad Pitt – Button n’est jamais acteur (décisif ou secondaire) de l’Histoire. L’Histoire est ainsi comparable à cet orage qui jamais ne concerne le personnage. Et là est, selon moi, la véritable idée de ce Curious case : (énoncé ainsi, assez bizarrement) l’utilisation que Fincher fait de la météo. Est-ce que je me trompe si je donne le nom de « Weathers » comme étant celui du compagnon de Queenie et par conséquent celui de père adoptif de Benjamin ? Et voilà le personnage rajeunissant finalement lié au ciel (peut-on à présent parler de miracle ?). L’ouragan Katrina s’apprête à frapper mais Daisy meurt juste avant. Le ciel tonne et la foudre frappe mais ni sur Benjamin (un autre type la reçoit sept fois sans jamais en mourir) ni sur le couple qu’il forme avec Daisy. Lorsqu’ils ont à peu près le même âge (ces scènes sont les meilleures) et qu’ils sont enfin dans les bras l’un de l’autre, le gros orage qui s’abat sur eux ne les perturbe en rien. Un plan les montre dans un lit fermé par un voile, coupé de tout alors que dehors le ciel se déchaîne.
Pourquoi un orage ? Parce qu’il indique en général une rupture, celle à laquelle on s’attend et qui, nous en savons gré au cinéaste (notez bien ici le mot car il ne me semblait pas un jour possible de l’employer pour M. Fincher), jamais ne vient. Ni brusque cassure, ni colère, de rebondissement encore moins. Rien sauf le temps. Le temps qui passe tranquillement comme Benjamin vit sa vie, en l’acceptant. Comme les hommes acceptent leur condition de mortel, il accepte son cas exceptionnel avec quiétude. Et il apparaît que Fincher atteint là un peu d’universalité.
Loin d’être un chef-d’œuvre pourtant. Fincher reste cette fois très académique dans sa façon de filmer. Je comprends que l’histoire touche (le film est long dans sa première heure mais je n’ai pas été insensible à la douce montée en puissance du drame, le déclin de Daisy et de Benjamin l’un et l’autre allant vers la mort à sa façon) mais il y a toujours chez Fincher quelque fadeur de mise en scène. Le caractère universel d’un film justifierait qu’on le considère comme un « chef-d’œuvre », peut-être celui de Fincher…
Enfin il est amusant en voyant ce film de reparcourir la filmographie de Brad Pitt rien qu’en considérant son physique aux différents âges de sa vie : de ses premiers rôles (True romance de Tony Scot en 1993, Et au milieu coule une rivière de Redford la même année) jusqu’à ses derniers que l’on se met à imaginer (Brad Pitt à 50 ou 60 ans).
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Je relis le commentaire d’Etienne et réagis. J’ai aussi relevé que ce passage de l’accident de Daisy était un peu à part, maladroit à mon sens.
Ce n’est pas Jeunet que j’avais en tête mais tu as raison (davantage Poulain qu’Alien tout de même). Je pensais de mon côté à Lelouch et son goût pour les destins croisés, la fatalité ou la possibilité de la combattre (Il y a des jours… et des lunes, 1990, La belle histoire, 1992). Et si, et si, et si… Dans Benjamin Button, c’est une parenthèse.