Alan J. Pakula, 1978 (États-Unis)
Les gens qui s’ennuient devant ce film, critique que l’on peut lire çà et là, sont sans cœur. Ce n’est pas l’action qui tient Le souffle de la tempête, même si le récit est jalonné de quelques rebondissements, ce sont ses personnages : mauvais (et ils excellent dans ce registre), ou à l’inverse en tout point attachants, et cela, probablement surtout en raison de leur complexité.
C’est vrai, sur le papier, ça part mal. Les personnages sont des archétypes et l’histoire oppose toujours les mêmes. Ewing (Jason Robards parfaitement affreux) est un grand propriétaire qui, sans se soucier d’aucun obstacle, veut offrir à ses impressionnants cheptels des terres toujours plus étendues. Face à lui, Ella Connors (Jane Fonda), jeune quarantaine, est une éleveuse qui tient à sa ferme, aussi modeste soit-elle, et qui, malgré un passé froissé, entend ne rien céder à personne. Le bonhomme du titre anglais qui va changer quelque peu la donne, c’est Frank (James Caan), ancien soldat revenu du Pacifique, mais discret, modeste, loin du héros américain, et qui n’aspire désormais qu’à la vie simple du cowboy sur son lopin de terre. Ajoutons deux trois hommes de main défraîchis et sans scrupule, ainsi qu’un magnat du pétrole convoitant les sous-sols de ses terres fertiles. Des petits, des gros, de plus gros encore : on voit le tableau. Pourtant, la défiance des uns envers les autres, leur colère contenue, leur hargne et leur rancœur, ou plus rarement, mais cela n’en est pas moins intense, un regard, un éclat de rire échappé, une complicité gagnée font toute la richesse des échanges humains et donc de cette histoire encore embellie par de superbes paysages (le film est tourné dans l’Arizona et au Colorado) et rehaussée d’une mise en scène à plusieurs moments remarquable.
Les premiers plans de deux cavaliers s’occupant de leurs vaches nous plongent dans une imagerie classique de western avant que les chevaux ne passent devant un enterrement sur une colline à l’arrière-plan. Le spectateur se rend alors peut-être compte qu’il s’est trompé d’époque. Une voiture, un soldat enterré sous le drapeau américain : l’histoire se situe vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. À peine plus loin, une des premières scènes entre Ewing et Ella, superbe, dit tout des personnages et de leur relation. Lui a donc enterré son fils et a devancé Ella pour aller la trouver chez elle. Il est chez elle et quand elle le trouve, cet homme plus âgé qu’elle de vingt ans ou plus lui annonce, « Je me suis servi ». Au discours du vieux vautour qui mêle offres et menaces, elle n’oppose qu’un silence (à ce moment-là, on n’a pas encore entendu le son de sa voix), sa mine fermée et une silhouette du cowboy prêt à dégainer (elle n’a pourtant pas d’arme).
Autre personnage, le vieux Dodger (Richard Farnsworth, le grand-père de Lynch dans Une histoire vraie, 1999) qui a également tout son intérêt. Il est l’employé d’Ella et taquin, il fait penser aux vieux acolytes que l’on trouve dans les westerns de Hawks et de Ford aux côtés de John Wayne. Lui aussi a une belle scène. Le vieux Dodger est sur son lit après sa terrible chute de cheval et, alors qu’il n’était que le fidèle employé, tout d’un coup, Ella à son chevet, le discours qu’il tient ressemble à celui d’un père, comme si Ella à laquelle il est si attaché passait de la place de patronne à celle de sa fille. Plusieurs scènes entre Ella et Frank sont aussi sensibles et réservées. Elles livrent un réconfort qui peut paraître ténu mais qui est aussi nécessaire pour résister à la rapacité cruelle qui les entoure. Quand ça tourne mal, la réalisation sait également surprendre et provoquer l’inquiétude ; les explosifs utilisés pour les forages fracassent le ciel de leur détonation et marquent les difficultés à venir.
Comme dans les classiques, Pakula se plaît à filmer les cowboys travailler et notamment des scènes de vaches coursées au lasso (je pense à La Rivière Rouge de Hawks, 1948, dans lequel apparaissait d’ailleurs Farnsworth dans un petit rôle). Il glisse aussi une ou deux chansons entonnées à la belle étoile. Les paysages saisis par Gordon Willis, le chef-op, font belle impression. Mais le plus beau reste l’ouverture timide, méfiante d’Ella et Frank l’un envers l’autre. D’abord le rapprochement est motivé par un intérêt mutuel, puis les barrières tombent et leur connivence finit par devenir redoutable et salutaire.