Michael Mann, 1992 (États-Unis)
Une grande partie du Dernier des Mohicans se déroule de nuit. L’image est sombre et les intérieurs comme les extérieurs souvent plongés dans le noir. Michael Mann nuance pourtant et distingue l’aube, le couchant, la nuit noire. La lumière est écartée quand ses personnages ont besoin de fuir les Hurons, de s’infiltrer dans un fort au nez des assaillants ou encore d’épier leurs ennemis. Mann laisse encore les silhouettes et les visages dans la nuit dans les moments d’intimité : pour dissimuler des sentiments inattendus, jouer avec lors d’une scène à la fois simple et belle (quand Nathaniel et Cora se regardent l’un l’autre), plus tard pour s’aimer.
La Guerre de Sept Ans fait rage entre Anglais et Français. Les autochtones pris dans cet étau sont contraints de prendre parti et, tôt ou tard, ajoutent leur sang aux violences commises. Le danger dans la province de New York est constant, mais plus grand en plein jour. Ainsi, les scènes baignées de soleil, quand les troupes anglaises traversent un chemin ou une prairie, couleurs de la couronne levées et rouge vif des uniformes, sont à deux occasions une embuscade et une tuerie assurée. Michael Mann filme donc la nuit car ses héros y sont mieux protégés. Toutefois, il filme surtout la nuit pour s’accorder au sort des civilisations outre-atlantiques. Les Indiens du Nord disparaissent comme deux siècles et demi plus tôt ceux des Amériques à peine redécouvertes et bien fou celui qui, entre Anglais et Français, croit pouvoir rivaliser avec l’homme blanc. Pourtant Magua le Huron est aveuglé par sa soif de vengeance et, un temps conforté dans la réussite de ses plans aux côtés des Anglais, s’imagine capable de récupérer les terres spoliées aux siens par les colons. Il se rêve en chef et se berce d’illusions. Pour évoquer le sort des Amérindiens, il est notable que Michael Mann enrôle Wes Studi et Russell Means, l’un acteur d’origine cherockee, l’autre représentant des Lakotas. Studi incarne Magua tandis que Means joue Chingachgook le Mohican, le père de Uncas et Nathaniel. Russell Means est connu à cette époque en tant que membre actif de l’American Indian Movement (et pour avoir tenté de briguer la présidence du parti libertarien, ce qui est moins cool).
L’adaptation du roman de James Fenimore Cooper (publié quelques décennies après la guerre de Sept Ans, en 1826) est une superbe ode au crépuscule indien. Mann filme la nature et fait ressentir sa force (le tournage a en grande partie eu lieu en Caroline du nord, dans le parc de Chimney Rock). La forêt est luxuriante, les paysages sur les hauteurs grandioses et les chutes d’eau puissantes. Les Indiens, qui viennent de chasser un cerf (la première scène), honorent sa force avant d’emporter l’animal. Le récit n’est pas celui de la rencontre entre les premiers Amérindiens et les Européens. Nathaniel-Œil de faucon, interprété par Daniel Day-Lewis, est un Blanc adopté, les échanges entre les peuples locaux et les colons ne sont pas nouveaux et l’acculturation rapide se fait au profit des Blancs. Mais le lien entre les humains et la nature reste fort, ils vivent avec elle et par elle ; ce qui ne durera pas et le film y fait référence. Dès le début il est mentionné la raréfaction du gibier due, ce que l’on devine, à l’implantation humaine plus importante et aux guerres menées.
Avant de revenir au polar avec Heat (1995), Michael Mann réalise certainement avec Le Dernier des Mohicans son film le plus lyrique. La musique cosignée par Trevor Jones et Randy Edelman est entêtante et les acteurs magnifiques (Madeleine Stowe et Johdi May, Eric Schweig, aux côtés de ceux déjà cités). Le film est une course (toujours les personnages sont en déplacement) et l’aventure possède un souffle qui jamais ne s’épuise. Par dessus tout, le soleil déclinant de ses héros et des peuples qu’ils incarnent donne avec Le Dernier des Mohicans ses plus beaux éclats.
Mann est un oiseau de nuit, assurément. Et pourtant, dans mon souvenir, « Le Dernier des Mohicans » est peut-être un des plus lumineux de sa filmographie. Avant, il était déjà question de chasseur de minuit dans Manhunter. Et c’est bien lorsque le soleil a disparu derrière les buildings que Vincent, Neil, Frank et même les deux flics infiltrés de Miami Vice montent leurs coups, et finalement s’exposent. Je ne sais si Ferrari préfère rouler de nuit (faute d’avoir trouvé une occasion de le voir), ce que je sais c’est que Sonny la conduit souvent à la lueur des réverbères sur Biscayne boulevard.
C’est vrai pour les nuits urbaines quasi omniprésentes chez Mann. Cela m’a davantage surpris avec Le Dernier des Mohicans, que je voyais comme toi plus lumineux dans mon souvenir. Mais les scènes au soleil, notamment sur la corniche à la fin, sont d’autant plus marquantes qu’elles contrastent avec la noirceur de l’image qui précède.
Il y a plusieurs films de Mann que je n’ai pas encore vus, ni les premiers, ni les derniers (Hacker, 2015, ou Ferrari, 2023, -c’est la plaie ces plate-formes-). Et j’ai hâte de revoir Collatéral (2004).
Je l’avais vu à l’époque… Oui, l’impression de frénésie amenée par la course. Je me rappelle qu’à plusieurs reprises Oeil-de-faucon tire en courant, à coup de fusil (un dans chaque main…) – ce qui ne figure pas dans le livre si je me souviens bien -, mais je n’ai pas souvenir, par contre, de le voir recharger (réminiscence de planches d’Hugo Prat où il nous expliquait (?) qu’à la même époque, certains soldats rechargeaient en courant, en s’étant empli la bouche de poudre?).
Cela fait des années que je ne l’ai pas vu. Si le DVD me tombe sous les yeux dans un bac d’occasion, je me laisserai tenter je pense.
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola