Catherine Corsini, 2021 (France)
Rarement un film aura été capable, avec un sujet d’actualité mêlé au quotidien de ses personnages, de mettre le spectateur dans cet état de tension (quoique Les Misérables de Ladj Ly en 2019 y parvenait aussi). Sur fond de violences entre Gilets Jaunes et forces de l’ordre et dans un quasi huis-clos à l’hôpital, Catherine Corsini parvient à un assez juste équilibre des émotions. On rejette les brutalités policières, on craint les coups, les explosions, la confusion, tout comme on peut s’insurger contre les violences faites aux urgences et en milieu hospitalier par les pouvoirs publics (absence de moyens humains et matériels). Pourtant, on s’amuse aussi, parfois un peu nerveusement, d’autres fois plus sincèrement, devant le grotesque de certaines situations et des échanges vachards entre Raphaëlle et Yann (Valeria Bruni Tedeschi et Pio Marmaï). Ils ne se connaissent pas et attendent tous les deux aux urgences avant de se faire examiner pour de très vilaines blessures : Raf la bourgeoise cherchait à rattraper la femme qu’elle aime et est tombée sur son coude, Yann le camionneur s’est retrouvé avec des trous dans la jambe à cause de la grenade d’un policier trop armé. À d’autres moments, parce que la réalisatrice fait ressortir toute une humanité dans les échanges entre les patients et le personnel des urgences, ou bien quand elle fait voir la dureté d’autres relations (avec les patients exaspérés, fragiles ou dangereux), le film marque autrement notre sensibilité. Dans ces scènes, Catherine Corsini doit beaucoup à Aissatou Diallo Sagna, l’actrice qui interprète remarquablement Kim, infirmière chevronnée, fatiguée mais encore volontaire.
Toutefois, il ne faudra pas chercher dans le film les causes de la « fracture ». Rien n’est dit sur ce qui a poussé les Gilets Jaunes à manifester et à s’installer durablement sur les ronds points partout en France de 2018 à 2020. De même, le film tait les raisons pour lesquelles la violence a grandi. Par ailleurs, c’est certainement un défaut de ne laisser entendre que le souhait très naïf du camionneur Gilet Jaune comme la seule motivation de sa lutte (mais c’est un peu de cette naïveté que l’on trouvait déjà dans J’veux du soleil de François Ruffin, 2019). Yann fait cette confidence à Raphaëlle de souhaiter voir le Président sortir de l’Élysée et d’apparaître au devant des manifestants pour discuter. Yann aurait aimer un échange avec Emmanuel Macron plutôt que sa jambe en sang. C’est à ce point naïf que c’est formulé dans leur discussion. Raphaëlle, qui est dessinatrice, en fait même une caricature. Avec cette seule motivation moquée, on a un peu l’impression que c’est l’opposition bien réelle de trois millions de personnes qui est jugée légère.
Comme les documentaires qui ont paru sur le sujet, Un pays qui se tient sage de David Dufresne en 2020, ou Le rond point de la colère de Pierre Carles, Olivier Guérin et d’autres en 2019, La fracture a malgré tout le mérite de faire un état des lieux. Il est aussi le premier film de fiction à parler des Gilets Jaunes. Et Catherine Corsini donne son dernier plan à Yann, celui qui a tout perdu. De toutes manières, ce ne sont pas les deux filles, Raphaëlle et Julie son amie (Marina Foïs), qui nous importent. Elles ne sont pas les plus « aimables » et leurs petits tracas nous agacent (trop d’excès, trop d’hésitations). C’est de Yann dont on se sent le plus proche, lui et le vieux copain de lycée et son amie violentée à la manif. Ce faisant, La fracture sensibilise à sa façon à la colère populaire et nous montre la France aux urgences, non pas une promenade de santé mais eu égard à la justice sociale un parcours de combattants loin d’être achevé.
Le titre fait que ça ne laisse personne insensible. Néanmoins je trouve que c’est le film le plus surestimé de 2021. Trop de scènes tirées par les cheveux sans aucune nuance ou objectivité, sans compter trois personnages insupportables et hystériques, et ironie du sort, le fait d’insister faire plus noir que noir c’est un moyen plutôt d’extrême droite. Une grande déception
L’humour du film et la dynamique des urgences à laquelle se colle la réalisation contrebalancent la noirceur décrite. En outre, l’exagération n’est pas l’apanage de l’extrême droite. En ce qui concerne les manifestations des Gilets Jaunes, je ne crois pas qu’il y ait d’exagérations dans le film. Il suffit de comparer avec les documentaires cités.
Je crois que Catherine Corsini a voulu nous montrer sa colère par ce film. Et c’est réussi.
Pour toucher un maximum de public, elle sort du simple documentaire en provoquant de l’émotion, c’est plus percutant, on est touché, on a de la compassion pour ce routier par exemple. C’est réussi, même s’il y a des scènes qui peuvent exaspérer.
Et ce triste constat des services hospitaliers. Je suis plus intéressée par le but poursuivi dans ce type de film que par la forme.
Merci pour ta chronique.