La Flibustière des Antilles (Anne of the Indies)

Jacques Tourneur, 1951 (États-Unis)

La Flibustière des Antilles s’ouvre par un grand livre de comptes où sont barrés des navires coulés, nous dit-on, par le capitaine Providence. L’instant d’après nous voilà en pleine mer, un pavillon pirate hissé et, à peine la canonnade engagée, un vaisseau anglais pris à l’abordage. Le capitaine Providence apparaît, le sabre levé, intimant l’ordre à ses pirates de lancer l’assaut sur le pont adverse puis enfonçant sa lame dans un corps imprudent. La scène ne dure pas. Elle nous met l’eau à la bouche autant qu’elle sert déjà l’essentiel des icônes du film de pirate (bannière à tête de mort, cache-œil et marins bariolés accrochés au gréement l’arme au poing).

Jacques Tourneur, incroyable de concision et d’efficacité dans sa narration, enchaîne avec Jean Peters, le capitaine Providence, jetant le drapeau anglais taché de sang sur son bureau puis se faisant soigner par son médecin de bord (Herbert Marshall). La beauté de l’actrice et sa chemise défaite (pour panser l’entaille) dégagent une féminité aussitôt contrecarrée par les paroles froides de son personnage. Là encore, l’échange tient en peu de répliques, mais rien n’est inutile. Anne Providence rejette sèchement le seul mot flatteur que lui adresse le chirurgien barbier. Elle poursuit la conversation comme si de rien n’était alors qu’on recoud sa chair. Et quand l’homme penché sur sa blessure lui rappelle que la douleur est humaine, elle décrète avoir fait le choix de ne pas la montrer. Dans les Caraïbes, le Sheba Queen, son bâtiment sous pavillon pirate, loin de l’exotisme et de la séduction promises par le nom (« la Reine de Saba »), est synonyme de peur et impressionne dans tous les ports par sa capacité à envoyer les bateaux croisés par le fond.

La Flibustière des Antilles est une histoire de pirates qui a grand cœur : combats navals et duels au sabre, carte au trésor et île de la Mort, sans même évoquer un corps à corps contre un ours dans un repère de forbans. Le scénario est adapté d’une nouvelle qui a paru dans un hebdomadaire américain en 1947 (Anne of the Indies de Herbert Ravenel Sass) et son héroïne est assez travaillée pour nous rappeler par son envergure (son intégrité, ses motifs, sa destinée) un des plus beaux personnages de la piraterie au cinéma, le docteur Peter Blood dans l’excellent Capitaine Blood de Michael Curtiz (1935).

Élevée par Barbe-Noire (Thomas Gomez) et faite capitaine du Sheba Queen, Anne Providence est une meneuse sans pitié. Une part d’elle cherche pourtant à laisser exprimer une féminité longtemps refoulée (voir tout le jeu avec une robe dorée confisquée et devenue symbole d’une féminité à reconquérir). Anne finit par s’éprendre d’un bandit, le capitaine Pierre François La Rochelle (Louis Jourdan), qui non seulement la trompe sur ses sentiments mais également sur ses intentions. La triste affaire et toute la beauté de l’histoire réside alors dans cette rencontre fatale pour l’héroïne. Anne met à l’épreuve ses propres valeurs, ronge son amour propre et, in extremis, décide aussi bien de sauver La Rochelle et sa femme (Debra Paget) que de se condamner elle-même à l’abîme. « Providence » ne vaut que pour La Rochelle et à La Flibustière des Antilles, tout le panache !

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2 commentaires à propos de “La Flibustière des Antilles (Anne of the Indies)”

  1. Je crois que c’est le premier film où il existait (enfin) une femme pirate.
    J’en profite pour te souhaiter, en ce dernier jour de l’année 2023, une belle soirée de réveillon ! 😉

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