Clint Eastwood, 1992 (États-Unis)
« Je crois que c’est d’une fable qu’il s’agit, mais d’une fable qui démythifierait l’Ouest […] Il y a étrangement deux histoires qui coexistent parallèlement, celle du journaliste qui veut imprimer le mythe de l’Ouest, et celle qui traverse le film et la contredit complètement » [1].
Joues creusées et regard sec, il tombe ses vieux os dans la fange. Père fatigué sur un sol aride, William Munny (Eastwood) n’est plus qu’une silhouette dans l’horizon incendié. Loin de la ville et de sa perdition, il a depuis longtemps enterré sa jeunesse putride dans les Rocheuses. L’isolation, comme jadis sa femme, et de plus nobles aspirations que par le passé tiennent l’alcool, la chair et le chaos meurtrier à bonne distance… Nonobstant ce brin de sagesse acquise, les malheurs d’une respectueuse (Anna Thomson) et la promesse d’une coquette somme lui remettent l’arme au poing.
Épaulé d’un « dégaineur » myope et candide (le Kid de Shofield, Jaimz Woolvett) et d’un ancien compagnon de route (Ned Logan qu’interprète Morgan Freeman), Munny chevauche, un orage menaçant au-dessus du crâne. Direction : Big Whiskey (autre Lago, le sort s’acharne… [2]). Munny doit réapprendre la violence et son corps valétudinaire en souffre trois nuits durant. Aucun des choix faits par les personnages ne reste sans conséquence. Les morts ne sont pas glorieuses (dans les toilettes) et, avant la séquence finale, les exécutions sont hésitantes (dans le canyon).
Ned meurt entre les pattes du très expéditif Little Bill (Gene Hackman l’étoile au veston [3]). Munny l’apprend d’une prostituée dont il boit les paroles et les sanglots tout en vidant la bouteille d’un spiritueux qui nettoie son âme de vertus devenues gênantes. Le Kid a goûté à la mort et refuse de poursuivre. Faisant tinter ses éperons, William Munny est seul lorsqu’il passe l’entrée du saloon dans le fracas du tonnerre. Le canon de son fusil pointé vers les fantoches qui font la loi, la sombre figure du vengeur envahit l’écran. Brutale, la fusillade est une purification du lieu (symbole comparable, dès l’arrivée de Munny, c’est un déluge qui s’abat sur la bourgade). Seul témoin extérieur, le biographe (Saul Rubinek) qui, de légende en légende, toutes avortées (d’abord l’arrogant English Bob joué par Richard Harris, puis le shérif en personne), cherche à écrire le mythe qui fait l’Ouest à cette époque. Il ne sait rien ou presque du vieillard qu’était Munny au début du récit. Il ne voit que l’ange exterminateur. Impitoyable.
La société dépeinte est peureuse et intéressée ; une soif virile pour le pouvoir est la source de tous les maux ; les individus et les actions ambiguës (le jeune cowboy qui offre sa plus belle jument à la femme tailladée était-il si mauvais ?). Depuis longtemps libéré de l’évocation historique et à présent quitté par le courage et les faits d’armes, le western d’Eastwood, dont l’intransigeante violence lui semble propre, conserve le réalisme psychologique développé par Ford (Stagecoach, 1939) [4]. Au début des années 1990, sous la présidence Bush père, le cowboy misogyne et ambitieux (que seule une force supérieure et aussi mauvaise terrasse) ne peut plus être le héros auquel les Américains se réfèrent.
[1] Clint Eastwood interviewé par Thierry Jousse et Camille Neves, « A propos d’Unforgiven », dans les Cahiers du cinéma, hors-série, 1992, p. 70.
[2] L’homme des hautes plaines (1973).
[3] Un noir sous les coups de fouet : l’évocation d’un esclavagiste qui fait justice ?
[4] Impitoyable s’achève aussi par un hommage à « Sergio [Leone] and Don [Siegel] » qui ont tant compté pour Eastwood.
Bonjour, je me permets de rebondir sur la citation liminaire de votre texte qui m’a fait penser (en toute modestie bien sûr !) au texte de mon acolyte sur le même film (ici si ça vous intéresse).
Je trouve que l’association de la fusillade finale au titre français est bien vue. Et ce d’autant plus que je trouvais le titre original plus sensé (je le trouve toujours à vrai dire mais la différence est moins grande).