Marie-Castille Mention-Schaar, 2014 (France)
Les héritiers veut faire la démonstration de l’importance du « devoir de mémoire » comme facteur de dynamisme et de cohésion au sein d’un groupe d’élèves indisciplinés, peu confiants et scolairement abattus. Il veut valoriser un professeur d’histoire (Ariane Ascaride) qui croit tant bien que mal en une classe dévalorisée par tous, notamment le proviseur. Il veut mettre en avant un travail d’histoire qui a permis à des teignes de soudain devenir des citoyens : leur participation, donc, au Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD) les transformera et leur réussite autour de ce professeur heureux nous fera pleurer. Dans l’idéal. Ses notes d’intention affichées, voilà le film maintenant cadenassé : il a le soutien de l’éducation nationale à travers le réseau pédagogique Canopé (chaque académie relayant pour leurs professeurs les ressources mises à leur disposition), celui de La Fondation pour la Mémoire de la Shoah et il est estampillé de l’indiscutable étiquette « D’après une histoire vraie ».
Pourtant tout ceci n’est que de la poudre aux yeux. Sur l’enseignement (sauf celui des larmes peut-être ?) : rien. Le dynamisme et la cohésion du groupe apparaissent en deux raccords et un claquement de doigt sans que l’on comprenne ce qui a brusquement convaincu les élèves de changer d’attitude (alors que figure parmi les sous-titres du dossier pédagogique du film : « L’autonomie et l’éducation à la responsabilité : une longue quête pédagogique »…). La parole du prof dans le film est le plus souvent vide de contenu et son travail inexistant (exception faite d’un bref échange à propos d’une image médiévale avant qu’il ne soit question du concours). L’approche historique, enfin, et ce n’est pas le moindre argument, est brouillée par les émotions. La mise en scène, qui découpe à outrance et multiplie inutilement les plans, fait la part belle aux sentiments. Deux moments sont particulièrement significatifs. C’est d’abord le témoignage de l’ancien déporté, Léon Zygel, filmé en champ-contrechamp avec les élèves pris à la gorge par l’émotion et parfois déjà en train de pleurer. L’autre, c’est lors de la remise des récompenses par les plus hautes institutions, lorsqu’une élève en mini-jupe (Noémie Merlant), presque une héroïne sur la tribune, reprend plein de conviction au micro le serment de Buchenwald… Probablement le problème est-il à l’origine dès le scénario proposé par Ahmed Drame, ancien élève de cette classe qui a souhaité, à la fois, raconter ce qu’il a du vivre adolescent comme une aventure et rendre hommage à son ancienne prof. Mais sur grand écran, la réalisatrice de Bowling (2012) ne sait pas faire sans les artifices habituels d’un cinéma peu exigent.
On s’énerve alors de l’absence de critique faite au film (ou de rigueur, ou de sincérité…) de la part des institutions citées plus haut. Ainsi, le dossier pédagogique perd de vue complètement le film (il ne propose aucune analyse filmique, aucune piste de travail, ce qu’on trouve habituellement dans pareil document) pour ne se focaliser que sur le CNRD (« En 2011 le CNRD a eu 50 ans d’existence. », « Un concours qui propose des projets pédagogiques originaux », etc.). Un dossier qui pose même la question des TICE pour les professeurs soucieux de replacer leurs élèves devant des écrans. Alors quoi ? S’agit-il seulement avec ce film de convaincre les enseignants d’inscrire leurs élèves au CNRD ? Ne s’agit-il que d’une publicité à montrer aux élèves ? En outre, dans le dossier pédagogique des Héritiers, il n’est fait allusion qu’une seule fois à « l’éducation au sens critique » et elle est évoquée à propos des TICE justement. N’y a-t-il que là, vraiment, que l’élève peut exercer son esprit critique ? Pour être sûr d’être renseigné sur le concours, on ira donc lire Le journal d’un prof d’histoire (Bernard Girard, « Les Héritiers : ce que le Concours de la Résistance oublie », déc. 2014). On trouvera également des critiques du film moins timides que d’autres, par exemple « Les Héritiers : à l’école des (bons) sentiments » sur Zéro de Conduite (déc. 2014). Et plutôt que de se demander s’il faut croire ou non à ce que raconte le film (« puisque on vous dit que c’est d’après une histoire vraie »), si des élèves quels qu’ils soient sont finalement capables de se regrouper autour de projets plein de sens (si, si, ça existe), il faut peut-être commencer par poser la question de la pertinence de cet objet aussitôt devenu le support à de vains discours sur le « devoir de mémoire » ou sur l’éducation. Le film n’est pas bon et s’il faut compter seulement sur ce genre de film pour valoriser la profession de l’enseignant, tant pis, préférons et de loin la discrétion de nos salles de classe.
Encore un film de propagande (pour la bonne cause) si j’ai bien suivi. La sanction finale est salée et, il est vrai, bien plus sévère que nombre d’avis lus ici ou là dans la presse (qui pour le coup était unanime sur La rafle). Je prends bonne note en tous cas, moi qui suis toujours un peu méfiant vis à vis de ces objets filmiques éducatifs du prêt-à-penser.
Ton sous titre m’a bien fait marrer. La bande annonce laissait présager du pire. Il y a aussi eu une bonne heure d’interview bienveillante dans la matinale d’Inter. Heureusement, le film est finalement passé inaperçu.
Pitié, voilà le film aussitôt intégré au dispositif pédagogique Collège au cinéma… Que vais-je inventer pour ne pas y envoyer mes 3e l’an prochain ?