Michael Haneke, 1997 (Autriche)
Afin de dénoncer la violence installée sur nos écrans Michael Haneke livre une œuvre violente. La démarche est agaçante… Funny games est maîtrisé mais insupportable.
La séquence d’ouverture est intéressante : une plongée aérienne verticale sur une voiture familiale qui suit un trajet que l’on devine être celui de vacances. En off, on entend un homme et une femme jouer (ils écoutent des airs de musiques classiques et cherchent compositeur et interprète ; de temps en temps, se glisse l’insert d’une main qui change de disque). Un enfant est aussi présent. Ce n’est qu’après un long moment qu’ils nous sont montrés tous trois de face dans leur voiture-cocon (Susanne Lothar, Ulrich Mühe, Stefan Clapczynski). Michael Haneke installe d’abord des éléments rassurants : une musique agréable, la route des vacances, la famille qui s’amuse. Mais le trajet des vacances n’est-il pas aussi déjà annonciateur de quelque drame ? La plongée, bien sûr, ne rassure pas… Dominik Moll préférait installer une tension plus vive pour la première séquence de Harry, un ami qui vous veux du bien (2000). Il place la caméra à l’intérieur du véhicule, à l’arrière avec les enfants qui s’impatientent, chahutent, donnent des coups de pied dans les sièges, et montre la dégradation de l’ambiance au sein de la famille ; les parents ne parviennent pas à calmer les enfants, endurent (le spectateur avec eux), puis ne supportent plus cette ambiance trop pénible. Michael Haneke, lui, opte pour la plongée menaçante. Dans l’introduction de Shining (1980), Stanley Kubrick, tout en suivant une coccinelle jaune sur la route, alternait des plongées aériennes et des travellings avant sur le paysage. Kubrick ne nous présentait pas encore la famille. On ne sait pas encore qui est dans le véhicule. En revanche, il se servait d’un extrait de musique classique pour la bande son, un passage de La Symphonie fantastique de Berlioz. Avec Funny games, Michael Haneke n’est pas dans le registre fantastique mais dans le drame criminel et le thriller de Dominik Moll lui ressemble davantage. Le motif des œufs est d’ailleurs dans les deux films (sur sa signification dans Harry, voir le site analysesdesequences).
Arrivée sur son lieu de vacances, une maison près d’un lac, la petite famille est importunée par deux jeunes gens vêtus de blanc (Arno Frisch, Frank Giering) qui demandent à ce qu’on les dépanne de quelques œufs. Le point de départ est ridicule compte tenu de ce qui suit. L’angoisse monte très vite et l’horreur tout aussi vite s’en mêle. Tous les actes de violence sont hors champs mais les scènes n’en sont pas moins pénibles. Le principe est bien connu : suggérer, ne rien montrer et laisser libre cours à l’imagination du spectateur. Les deux monstres blancs introduisent chacune de leur violence par un « jeu amusant » (devinettes, petite épreuve de diction…). L’un d’eux se tourne vers la caméra et interroge le spectateur : le film est un jeu. Toutefois, ce n’est pas parce qu’Haneke ne trompe pas sur la marchandise et intitule son expérience Funny games qu’elle n’en est pas moins nauséabonde. Le contraste qu’il instaure (la tranquillité du site et de la situation initiale d’un côté, la torture et l’horreur meurtrière de l’autre) est à cette échelle insupportable, et cela même s’il désamorce à plusieurs reprises le réalisme dans lequel il nous baigne (par la scène de la télécommande notamment). Le cinéaste autrichien souhaite nous faire réaliser que ce qui nous insupporte, sa complaisance malsaine, peut nous affecter, et prend au piège le spectateur par cette manipulation psychologique. C’est détestable et redoutable. La même année sort The end of violence de Wim Wenders et, onze après, Haneke récidive avec Funny games U.S. pour le marché américain…
Apparemment Funny Games et Funny Games U.S (je n’ai vu que ce dernier) sont identiques à la scène près, voilà pourquoi il y a eu une projection du diptyque en simultané sur deux écrans côte à côte lors de la sortie de la version américaine!