Kaveh Bakhtiari, 2013 (Suisse, France)
La Grèce est une des portes d’entrée de l’Europe pour les migrants clandestins. Dans le film, ces hommes qui ont la trentaine pour la plupart viennent d’Iran (la seule femme que l’on croise vient d’Arménie). Ils ont pris tous les risques pour quitter leur pays et leur voyage demeure long et très incertain. Ils iront où la fortune les conduira. Même s’ils ne parlent que le persan, cela peut être en Suisse, en Allemagne ou en Italie, peu importe du moment que c’est quelque part en Occident. Là-bas, ils espèrent acquérir des droits et surtout une situation plus sûre que celle qu’ils quittent. Là-bas, ils espèrent mieux vivre.
Pourtant à Athènes, comme ailleurs à Melila ou Lampeduza, lors de cette première étape occidentale, la situation n’est pas bonne. Squat à plusieurs dans quelques mètres carrés, sortie inquiète quand il s’agit d’aller chercher à manger ou de prendre l’air. Non seulement parce qu’ils peuvent se faire (et se font) arrêter, et par conséquent renvoyer du pays, mais aussi parce que le contexte de crise en Grèce et de montée de l’extrême droite leur est entièrement défavorable.
Kaveh Bakhtiari passe une année en compagnie d’un même petit groupe de clandestins. Il vit avec eux et n’essaie de faire oublier ni sa caméra, ni sa situation privilégiée (lui a un passeport et, même dans une situation illégale pendant le tournage, il peut quand il veut choisir de rentrer ; autrement dit, il possède ce que eux viennent chercher). Bakhtiari est suisso-iranien et se fait accepter, c’est pourquoi, même dans l’intimité du quotidien, la caméra n’est jamais intrusive et si jamais elle gêne (comme on l’entend une fois), il la coupe. Le spectateur n’est pas voyeur. Il est au milieu des clandestins et perçoit leur douleur autant que leur espoir même si celui-ci reste ténu. On imagine la souffrance psychologique. Par exemple lorsque le plus jeune, 16 ans, là depuis six mois et désespérant de revoir ses parents, raconte son arrestation et toute sa fatigue d’attendre. De même, la peur qui l’étreint quand le passeur à qui il a confié sa vie et son argent décide que son moment est venu.
L’essentiel du film se tient dans ce petit appartement en sous-sol, mal équipé et oppressant (« la pension d’Amir »). Les Iraniens y sont privés de liberté. L’escale montre une attente, une véritable pause angoissée et pour quelques-uns seulement une impasse (le retour au pays ou la mort en bout de course). Mais les hors champs ont aussi leur importance : toute la violence qu’évite soigneusement la caméra mais que racontent les protagonistes (confrontations avec les autorités, escroquerie des passeurs, vol et assassinat). Et surtout les flux : ceux des clandestins qui ont survécus pour parvenir jusqu’en Grèce (avec un parcours de plus de 2500 kilomètres pour venir de Téhéran), ceux qu’ils feront par avion, bateau ou camion, pour passer la frontière et partir plus loin. On note d’ailleurs qu’à chaque déplacement, non pas les simples promenades en extérieur mais les véritables départs, la caméra reste fixe et regarde s’éloigner les personnes ou les véhicules.
Le premier long métrage de Kaveh Bakhtiari fait penser aux Arrivants (Claudine Bories, Patrice Chagnard, 2008) qui rapportait une autre étape, la dernière d’un très long voyage pour certains mais charriant aussi tout un nouveau lot de difficultés (les premiers problèmes d’intégration). On pense aussi à Biutiful d’Alejandro G. Iñárritu (2010), tout simplement parce que la « pension d’Amir » pourrait être un squat barcelonais. Si l’on a surtout insisté sur le quasi huis clos et sur les hors-champs, il faut quand même évoquer ces plans de bords de mer qui sont une véritable respiration pour le film et le spectateur. On voit tout d’un coup ses personnages émus par une toute petite fille ou, comprenant un peu mieux leur obstination, les yeux portés loin sur un horizon grand ouvert.
* « A la frontière entre la Grèce et la Turquie, une barrière de 11 kilomètres se dresse depuis décembre 2012. Elle s’élève à 3 mètres côté grec, 2 mètres côté turc et des barbelés occupent l’espace d’un mètre qui sépare les deux grillages. Elle est flanquée de 25 caméras thermiques et de miradors. Sa construction a coûté 3,2 millions d’euros au gouvernement grec, sans la moindre participation de l’Union européenne. Le parti néonazi Aube Dorée juge que ce barrage ne suffit pas : il veut qu’un champ de mines boucle la frontière. Désormais, les immigrés tentent le passage par le fleuve Evros tout proche, beaucoup trop dangereux. Un cimetière de migrants a été aménagé dans les environs. Trois cents monticules de terre anonymes s’y alignent depuis quatre ans. » Propos de Françoise Deriaz, extrait du dossier de presse du film.
Une analyse du film par Camille Bui sur le Blog documentaire.
Bonjour,
C’est Camille Bui qui a signé l’analyse du film publiée sur le Blog documentaire.
Merci pour elle !
Bien cordialement,
C. M.
Merci de la précision, je me suis un peu vite laissé tromper par le « posted by C. Mal ». Voilà qui est corrigé.
Intéressante analyse au passage, notamment quand il est question des « spatialités clandestines » et du rapport aux frontières.