Coincoin et les Z’inhumains

Bruno Dumont, 2018 (France)

FANTASQUETIQUE

Les silhouettes colorées et les grosses têtes de Carnaval les observent depuis le bas côté comme des extraterrestres. Devant ce qu’elles voient, ces figures archaïques pourtant habituées aux transgressions festives et aux réjouissances outre-mesure restent les bras ballants, complètement médusées. Faut dire que le spectacle a de quoi déconcerter. D’ailleurs, le commandant Roger Van der Weyden est bien obligé d’en faire le constat auprès de son acolyte : « C’est l’Apocalypse Carpentier ». Autrement dit, le grand n’importe quoi, le chamboule-tout qui déborde son stand, l’ultime démarque… L’annonce définitive de la fin du monde.

Sur la Côte d’Opale, plus précisément entre Ambleteuse et le Cap Gris-Nez, à l’embouchure de la Slack, après les meurtres en série du temps où le mioche Quinquin était encore Quinquin, c’est à nouveau le trop plein qui met tout en péril, gendarmerie comprise. Le déséquilibre est majeur dans ce coin du Nord. Rien ni personne ne va plus droit. Le brave Carpentier (Philippe Jore) ne peut s’empêcher de faire basculer sa voiture sur deux roues quitte à la mettre sur le toit, tandis que le commandant (Bernard Pruvost), qui accouche au passage d’un clone aussi clownesque que lui, part en roue libre. On a l’impression que ça n’avance pas et pourtant.

Dans la saison 2, les enfants ont grandi. A présent Quinquin s’appelle Coincoin et l’invasion extraterrestre est toute proche. Tous les personnages semblent avoir mangé du Jacques Tati physiquement ou mentalement déficient et les voilà prêts à embrasser de leur innocence le plus grand des mystères. En effet, de grosses flaques de glus noire tombent du ciel et se transforment en lumière avant de posséder des autochtones par hasard rencontrés et décider de les dédoubler. Mais étant donné que Dumont joue sur le mode du trop, pas de substitution façon Body Snatchers (Don Siegel, 1956), seulement un parfait doublon du personnage fréquenté et son acceptation naturelle par le modèle. Aux gendarmes de mener l’enquête et si possible de se dépatouiller de la glus. Outre le naturalisme du camping, des fermes environnantes ou du quartier résidentiel, sur ce territoire, le déséquilibre des comportements et les approximations du quotidien (gestuelles, verbales…) deviennent la norme. De même, les hésitations xénophobes ou homophobes de certains personnages, tout comme la présence de ces « corps étrangers », les migrants de la « jungle », ajoutent à la complexité des situations. Il n’est pourtant pas possible de dire que cela participe à la description d’un lieu tant celui-ci est distordu ni que ces évocations servent un quelconque discours politique. Ici, rien ne prédomine, on noie le poisson avec tout le reste.

Depuis P’tit Quinquin (2014), série en quatre épisodes de 52 min, Dumont est conquis par la comédie et fait faire à sa filmographie un virage dans le burlesque, histoire d’expérimenter, de s’essayer à autre chose, comme d’autres choisissent une sortie de route pour se mettre dans le décor. La démarche est tout de même assez maîtrisée car le fruit de ces expériences est à la fois fantasque, désopilant et plutôt énigmatique, pour ne pas dire tout à fait obscur. En 2016, Ma Loute relevait aussi de cette bouffonnerie à mystères. Ses films traversent désormais une atmosphère comique comme on traverse un épais brouillard. Cette singularité nous plaît, alors on y revient. Dans Coincoin et les Z’inhumains, les quatre épisodes (au même format que la première saison) réservent aussi leur lot de quiproquos et de scènes tordues qu’une incompréhension toute relative lie jusqu’au bout comme un fil rouge.

Au final, « Cause I knew that’s you » est entonné avec la fanfare. La chanson est devenue rituel alors qu’une gigantesque ronde comme un grand vortex engloutit tout, vivants et zombis, humains et z’inhumains, derniers traits d’intelligence et part de ténèbres. Vivement la suite !

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