Blanche-Neige et le chasseur

Rupert Sanders, 2012 (États-Unis)




JEANNE D’ARC CONTRE SAURON

« Lips red as blood,
hair black as night,
bring me your heart,
my dear, dear Snow White
. »


Blanche-Neige a Sauron pour belle-mère. Ce qui n’aide en rien au foyer. D’autant que la belle- mère, cette incarnation du Mal, commence par assassiner son propre époux le bon roi, le père de Blanche-Neige (Kristen Stewart aussi blanche, aussi pure que Bella Swann de Twilight, rôle que l’actrice par ce rôle ne parvient pas à tout à fait éclipser [1]). Même sans débarquer, Blanche-Neige plongée dans la boue de Ryan (Spielberg, 1998) entre en résistance. Thor à ses côtés (Chris Hemsworth), elle fuit le château devenu repère maléfique et plonge de forêt noire en forêt enchantée [2] jusqu’à revêtir l’armure d’une Jeanne de fantasy et enfin reprendre d’un assaut forteresse et pouvoir.

Dans cette version grise et fangieuse de Blanche-Neige, les frères Grimm sont déplacés en Terre du Milieu : nains, chasseur et princesse forment une compagnie que l’on voit défiler sur les arrêtes et les sommets (La communauté de l’anneau de Jackson, 2001). Le bestiaire fantastique y est également invoqué (Legend de Scott, 1985, Princesse Mononoke de Miyasaki, 1997…) . Cependant, le récit est dépouillé de la naïveté et de l’innocence présents dans le conte de 1812 [3] et entre temps nettement accentué par Disney (c’est Universal qui produit le film de Sanders). Par ailleurs, images changeantes et habitudes nouvelles, Blanche-Neige ne passe plus le balai ni la serpillière chez les sept nains. Elle se voit en revanche contrainte de visiter les fosses d’aisance du château. De même, moins sotte que par le passé, elle n’est plus trompée par une colporteuse transpirant la malfaisance, mais par une illusion impossible à déceler, celle de l’être aimé, plus charmant que la précédente, lui tendant à son tour la pomme empoisonnée. On se dispense de parler de démystification à propos d’un conte de fée (nous le faisions avec Robin des Bois, mais Scott faisait réellement de l’archer un personnage historique). En dépit des trolls et des miroirs magiques, il y a pourtant bien la volonté de faire fléchir le récit vers un certain réalisme et une plus grande brutalité. Comme si le merveilleux désormais se faisait plus grave. Il est ici affaire d’adultes.

La marâtre concocte-t-elle pour autant foie et poumon en croyant faire un banquet avec les abats de sa belle-fille ? Non, du chemin de ronde à la basse cour, aussi vrai fasse le château, épineuse ou d’herbe grasse, aussi vraie fasse la forêt, tranchantes et fracassantes, aussi vraies fassent les épées, tout cela n’est que décors. La cruauté des relations, elle, poussée jusqu’à la démence et la démesure dans le conte, n’est pas encore achevée à l’écran. Assez éloignée de la margravine Uta (dont la fine sculpture de la cathédrale de Nambourg avait servi de modèle à Walt Disney dans la version de Blanche-Neige de 1937), on retiendra malgré tout le personnage de la reine, Ravenna, interprétée magnifiquement par Charlize Theron. Fascinante de rapacité, tantôt belle et froide, tantôt maigre et roide, la nécromancienne terrifie davantage que la harpie de Maléfique (Stromberg, 2014, Angelina Jolie dans ce rôle). Apportant la mort et la désolation sur ses terres, pouvant disparaître dans la noirceur d’un vol de corbeaux, elle est une sorte de Laura qui jamais ne fait l’apprentissage de l’humanité (Under the skin, Glazer, 2013) .

Par ailleurs, un temps remplacée par la morsure du vampire de Twilight, la symbolique chrétienne du fruit défendu réapparaît. Mais Blanche-Neige ne se décide pas. L’histoire ne se finit pas par des noces. A sa cour retrouvée, la plus belle est tout à fait libre à présent. Ni le prince élégant, ni le chasseur plus brutal ne sont écartés. Et un regard à chacun nous laisse deviner.





[1] Pour ce faire, il faut revoir Into the wild (Sean Penn, 2007), puis attendre Sur la route (Salles, 2012) ou Sils Maria d’Assayas (2014).
[2] Imagerie bien connue mais décors plus originaux que ce que l’on aurait pu craindre.
[3] Blanche-Neige paraît dès le premier volume des Contes de l’enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen). On pense par exemple à l’arrivée des nains dans le récit qui formulent très naïvement leur surprise de découvrir leur logis désordonné : « – Qui s’est assis sur ma chaise? demanda le premier. – Qui a mangé dans ma petite assiette? fit le second. Etc. » (interrogations très semblables à celles des trois ours dans Boucle d’or, conte resté anonyme à peu près contemporain des Contes de l’enfance et du foyer).

3 commentaires à propos de “Blanche-Neige et le chasseur”

  1. Subi ce produit anonyme depuis la mort de l’héroïne ; un téléfilm onéreux et anodin, certes, mais dont la valeur réside dans sa réflexivité : au-delà de la mise à jour politiquement correcte du conte (maléfique car craintive), emballée dans l’imagerie contemporaine, pseudo féministe, de la femme d’action post-Lara Croft – deux tares rédhibitoires -, on se trouve face à une fable très hollywoodienne, qui dialectise les problématiques de l’âge, de la rivalité, du sang neuf (rouge pomme), de la place, figurante et figurative, des hommes, au cinéma ou ailleurs, du chômage (le sommeil des comédiens) et du triomphe de l’esprit combattant, acte individuel métaphorisé en bataille (l’American dream épouse la volonté inflexible de Leni Riefenstahl, triomphante dans d’autres ténèbres). L’usine à (mauvais) rêves se regarde au miroir de sa puissance d’exploitation, dans tous les sens du terme, et sa morale se résume à peu : le jeunisme sacre la reine éphémère du jour, nouvelle Ève très peu mankiewiczienne, brune Jeanne selon Besson poignardant sa mère symbolique (les adaptations X se délectent du tabou saphique et incestueux, caressé par Demy, cinéaste œdipien) – l’épée remplace le balais, signe des temps, en effet, mais aussi lexique psychanalytique à l’usage des masses supposées illettrées des salles de l’Oncle Sam, moqué par Hitch dans l’explication finale de Psychose -, la blonde marâtre aryenne célébrée/diabolisée par cette industrie puritaine avec le film noir et son érotisme létal. Charlize Theron, actrice au masochisme narcissique, ou l’inverse (cf. son enlaidissement dans le bien nommé Monster, primé pour cela), affronte la brune émancipée Kristen Stewart, amazone vierge en quête d’une crédibilité ciné après ses frasques mormones placées itou sous le signe de la chasteté (un comble en matière de vampirisme, autre genre adepte du symbolisme phallique !) et gagne, dans sa solitude couronnée, le droit de focaliser tous les regards de ses soupirants, sur l’écran et en dehors : naissance d’une actrice, d’une idole spéculaire, parmi la hideur numérique des effets spéciaux tressée à l’innocence spectaculaire des paysages naturels (ici gît une autre guerre d’aujourd’hui, brillamment analysée par Baudrillard)…

    PS : voici une autre belle endormie, en noir et blanc, tout autant méta mais plus séduisante sous le soleil noir de la mélancolie cinéphile et madrilène.

  2. Ah oui ! Je voulais faire une référence à cette Blanche-Neige neo-picaresque : original, cinéphile, hispanique et sublime Blancanieves (2013) ! Puis j’ai oublié.

    J’aime beaucoup l’idée, je prolonge un peu la vôtre, qui ferait du film de Rupert Sanders une sorte de Sils Maria transposé dans le merveilleux hollywoodien, dans lequel Juliette Binoche deviendrait la cruelle Ravenna.

  3. Comme je ne me souviens pas du film, je ne peux pas vraiment te contredire. Mais le sentiment laissé me fait être en parfait accord avec les premiers mots de JP Mattéi : produit anonyme. Quant à l’interprétation de Theron, non non et re-non.
    A bientôt

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