Alejandro González Iñárritu, 2010 (Espagne, Mexique)
Javier Bardem certes. Mais derrière lui et tout autour Barcelone surtout. Dévêtue de ses atours et de ses charmes, leurre pour l’extérieur, la ville abrite des populations démunies espérant une vie meilleure. Pedro Almodóvar nous en montrait les brûlants alentours (Tout sur ma mère, 1999), Alejandro González Iñárritu plonge en son cœur et en dévoile la noirceur. Les façades sont délabrées, les logements insalubres. L’argent qui circule dans ces espaces est sale. Le marché noir est toléré par une police corrompue [1]. Le film nous rappelle que Barcelone est une des portes d’entrée de l’Europe pour les émigrés venus par grappes des Sud [2]. Les clandestins chinois et sénégalais s’échinent à fabriquer et vendre à la sauvette sacs et dvd copiés. Au-dessus, les locaux en profitent et gèrent le trafic. La métropole fonctionne aussi avec cette économie et s’étend, ce que l’on voit sur les chantiers : un cimetière déplacé pour que s’élèvent des immeubles (les morts doivent laisser la place), au loin les grues de la Sagrada Familia… La ville se développe donc et ses marges avec elle (au point de ressembler à Mexico ou Tijuana ?).
21 grammes (2002) avait les mêmes qualités et les mêmes défauts. Des artifices qu’excuse parfois la beauté des plans (incroyable celui qui lie en un mouvement circulaire Bardem sur un pont et deux nuées d’oiseaux qui se croisent), de solides interprétations, une spiritualité à chaque métrage raffinée. Quoiqu’à la linéarité nouvelle répondent des lourdeurs narratives [3], Biutiful se démarque par le regard atypique d’un Mexicain sur la métropole méditerranéenne et par la manière qui s’élève à nouveau au-dessus du nombre.
[1] Ruben Ochandiano vu dans le Che de Soderbergh (2009) et les Etreintes brisées d’Almodóvar (2009).
[2] Droit de passage (Wayne Kramer, 2010), Amerrika (Cherien Dabis, 2009), Les arrivants (Claudine Bories, Patrice Chagnard, 2008), les problèmes causés par les migrations vers les pays riches font l’objet d’une attention particulière ces derniers temps.
[3] Pour la première fois, Iñárritu se passe de l’écriture de Guillermo Arriaga (auteur d’Amours chiennes, 21 grammes et Babel).
De qui est l’article ? J’ai adoré. L’univers -très réaliste et principalement tourné caméra au poing- est sordide, voire très glauque… Mais quelle puissance ! Et puis en arrière plan ce côté mystique finalement peu exploité, un peu à la manière d’Un prophète (Audiard, 2009). Dans mon Top 5 de l’année je pense !