Christopher Nolan, 2006 (États-Unis)
Pour servir le récit d’une concurrence entre illusionnistes, Le prestige emploie deux trucs de scénaristes qui forment antinomie*. D’un côté, une astuce usée par des raconteurs fatigués, le recours à un jumeau ignoré (Les rivières pourpres, Kassovitz, 2003, par exemple), de l’autre, un artefact aussi vieux que le cinéma, l’invention de doubles (ce dans quoi Méliès était passé maître : Un homme de têtes, 1898, L’homme orchestre, 1900, Les cartes vivantes, 1905…). Ainsi, Alfred Borden (Christian Bale) a un jumeau qui se dissimule derrière grimage et postiche, et Robert Angier (Hugh Jackman), lui, se dédouble ad libitum grâce à la machine fabuleuse de l’ingénieur Tesla (David Bowie, androgyne ou vampire, autre prince de la transformation)**. Alors que le spectateur envisage la gémellité dès qu’il s’agit de rendre possible des actes qu’une personne seule ne pourrait accomplir (se retrouver en deux endroits différents au même instant, « L’homme transporté »), il écarte en revanche l’explication de la multiplication des êtres par artifice parce qu’elle défie l’entendement. Dans une telle histoire, où tout nous pousse à rester cartésien (jumeau, sosie, déguisement), le coup de maître de Nolan est justement de nous amener finalement en plein fantastique (troisième temps du tour de magie, « le prestige »). Comme Georges Méliès jadis (un contemporain des magiciens Borden et Angier), le cinéaste britannique nous incite à croire réalisable ce qui ne l’est pas, et cela malgré les maladroites supercheries qui ont précédé. L’antinomie se trouve là, entre grossièreté et hardiesse de mise en scène, viles et nobles références, prétextes éculés et procédure d’illusion toute cinématographique.
Comme Memento (2000) et Inception (2010), le montage entremêle des temps variés et le récit se déplie en torsades vertigineuses (flash-backs, mise en abime, la lecture d’un journal à travers la lecture d’un journal). Mais à la fois Jekyll et Hyde, Nolan manipule le spectateur d’une manière qui n’est plus tout à fait plaisante. Le cinéaste manque de construire son métrage comme un véritable tour de magie ; si « la promesse » et « le prestige » nous ont séduits, « le tour » un peu long a manqué de clarté et déséquilibre l’ensemble. Comme un mauvais public de foire, nous aurions alors tendance à nous dresser contre les situations défraîchies sans toutefois manquer de ravissement lorsque Nolan les retourne.
* Il signe le scénario avec son frère Jonathan Nolan en puisant la matière dans Le prestige de Christopher Priest publié en 1995.
** Scarlett Johansson, Michael Caine, Rebecca Hall et Andy Serkis (tous un peu vides) complètent la distribution grand spectacle.
Je trouve très bien vu le fait que Nolan amène à faire accepter le spectateur, alors en mode cartésien, l’aspect fantastique. C’est vrai que ce point est très réussi. Et ce n’est pas le « tour » que j’ai trouvé laborieux tant la construction en flashbacks est lisible (même si les rôles féminins sont un peu sous-traités) mais c’est bien le « prestige » qui se retrouve avec une partie explicative qui n’était pas nécessaire puisque toutes les clés à la compréhension avaient été données auparavant.
J’ai absolument été bluffé par ce film, je l’ai revu une deuxième fois le lendemain de mon 1er visionnage. Nolan réussit un tour de maître, avec ce duel étrange entre deux show men repoussés jusque dans la folie. J’ai marché à fond.