Eric Rohmer, 1996 (France)
Les longs travellings sur les plages bretonnes (Dinard, Saint-Malo, l’ancien sentier douanier devenu GR34…) et les confidences partagées entre les personnages nous rapprochent de leurs états d’âme. A l’instar d’autres protagonistes rohmériens (Louise ou Félicie), Gaspard (Melvil Poupaud) a des amours velléitaires. Il est en vacances.
Les jours d’été sont égrainés et le nœud que Gaspard fait avec ses pelotes amoureuses devient difficile à défaire : d’abord la charmante Margot (Amanda Langlet qui jouait Pauline à la plage en 1982), puis Solène la flibustière malouine (Gwenaëlle Simon) et Léna qui n’était plus attendue (Aurélia Nolin). Gaspard fait l’analyse de ses sentiments à Margot (elle est étudiante en ethnologie), mais, indécis, il ne sait pas qui préférer.
Indécis ou lunatique ? La lune aurait-elle une influence sur lui ? On se souvient bien des Nuits de la pleine lune (1984), mais pas grand chose à voir ici. On se demande en revanche si Saint-Lunaire, où Gaspard se rend quelques fois pour tenter de retrouver Léna, n’est pas une commune choisie surtout pour son nom, plus que toute autre raison, afin de l’associer l’air amusé au personnage. Qui Saint-Lunaire amènera-t-il finalement à Ouessant ? La situation paraît inextricable quand le hasard vient au secours du jeune homme puisque c’est finalement l’occasion d’un magnéto huit pistes qui lui évite de choisir… Et, comme dans Santiano d’Hugues Aufray, de partir en marin laissant Margot sur le quai…
Les chansons bretonnes traversent cet été rohmérien comme un fil rouge. Gaspard compose, trouve une interprète, l’accompagne… Il y a même ce témoignage entendu sur les chansons de marin pour les travaux d’ethnologie de Margot.
Les infimes maladresses dans les dialogues improvisés nous font sourire (« Je vous reconnaissais pas avec les cheveux mouillés. – Je sais ça me change mais je m’en rends pas compte »). Une scène rappelle même Tati (Les vacances de Monsieur Hulot, 1953). Margot drôlement chapeautée est sur sa serviette (la caméra est dans son dos) ; elle regarde la gauche silhouette de Gaspard-Hulot sur la plage. Il la cherche partout et passe devant sans la voir jusqu’à ce qu’elle le surprenne.
Quand les vacances ont passé, Conte d’été nous laisse dans une douce mélancolie… Pour reprendre une expression que Poupaud utilisait pour parler de Rohmer, Conte d’été est « vibrant de sensibilité » (Cahiers du cinéma, n° 653, fév. 2010, p.47). Un chef-d’œuvre ensoleillé.
J’ai vu ce film (mon premier Rohmer) il y a quelques jours. Je redoutais un cinéma très snob et abscons, pour les initiés. Mais Conte d’été est un film très touchant au contraire, mais surtout (ce que je n’aurais jamais imaginé) très drôle.
J’ai vu pour la première fois Melvil Poupaud révéler son talent (il est transparent dans Un conte de noël de Desplechin). Ce jeune homme bien embêté face aux conséquences de ses diverses touches auprès des jeunes filles de Saint-Malo m’a beaucoup amusé.
Restent ces dialogues châtiés auxquels on ne peut vraiment croire, mais surtout ces monologues instructifs (sur l’histoire de la musique ou sur le folklore breton) qui font songer à la récitation d’une page Wikipedia.
Mais qu’importe ? Peu de films dégagent un tel charme simple.
Patrick Le Goff est l’auteur d’une analyse longue et passionnante sur ce film.
http://www.analysesdesequences.com/
Avec plusieurs documents à l’appui, il traite des motifs, de la bande son, des décors et des lieux, dégage une structure du film qui s’appuie sur les cartons, les durées et le découpage des scènes. Les rapprochements que Le Goff avec la peinture sont bien vus : les dos des acteurs et Friedrich, ou bien Le pérugin et Laurana pour évoquer la préexistence des lieux sur les corps (ce qui peut très bien résumer l’idée, que l’on trouve facilement quand on se penche sur Rohmer, de la nécessité qu’il a de parcourir les lieux pour concevoir ses films).
Le Goff conclue enfin sur un espace auquel non seulement Conte d’été mais également l’oeuvre du cinéaste semble s’apparenter, l’île (il dit d’ailleurs la même chose du cinéma d’Emmanuel Mouret que l’on a parfois comparé à Rohmer).
« On y parle une langue à part, que nous comprenons bien sûr, mais dont nous ressentons immédiatement l’étrange nature, un accent particulier qu’on n’entend qu’à cet endroit. Il en va des films comme des îles : on s’y sent ou très bien, à l’abri du monde, ou alors on a au contraire peur de cet isolement, de ce sentiment d’être à la fois perdu et cerné. »