Park Chan-wook, 2009 (Corée du Sud)
Il n’est pas bon de partager le don obscur avec n’importe qui. Surtout si l’amoureuse n’est pas celle qu’elle prétend… Sujet volontaire d’une expérience visant à traiter une maladie nouvelle, le prêtre Sang-Hyun* subit à la suite d’une transfusion sanguine de dérangeantes transformations**. Entre l’horreur suscitée par le monstre naissant en lui (Set Brundle en Mouche par Cronenberg, 1987) et la possibilité d’un épanouissement nouveau (Peter Parker dans Spider-man, Sam Raimi, 2001), sa surprise est quotidienne à la vue de son corps changeant. Sang-Hyun était prêtre. Il est vampire maintenant.
Il y a longtemps que les vampires n’étaient plus tourmentés au cinéma. Non pas simplement contrariés par un amour adolescent (Twilight, Catherine Hardwicke, 2009) mais véritablement remués par leurs actes et hantés par leur conscience. Quelle place la créature nocturne qu’il est en train de devenir a-t-elle en ce bas monde ? Quelle part d’humanité conserve-t-elle ? Quel rôle Dieu lui a-t-il réservé ? Le vampire peut-il encore porter un col blanc, se nourrir de sang et faire le bien comme l’homme qui le précédait ? Loin de s’étendre sur ces questions comme d’autres le font avec emphase et lourdeur (Anne Rice avec Memnoch le démon paru en 1995), Park Chan-wook ne les pose que pour dicter les agissements de son personnage. Elles servent donc de prétexte à un récit aussi surprenant que torturé, comme l’étaient le génial Old boy (2004) ou le moins aimé Lady vengeance (2005). Par ailleurs, le cinéaste coréen traite son vampire avant tout comme un corps : parfois sublime et aérien, la plupart du temps suintant, pustuleux et ignoble. Les baisers goulus échangés par le prêtre qui ne résiste plus à la succube Tae-Joo (Kim Ok-vin) font le même bruit de succion que les sanglants repas du vampire pris au tube du cathéter d’un comateux. Park Chan-wook filme aussi crûment des relations sexuelles excitées et précipitées (son compatriote Bong Joon-ho ne s’encombrait pas non plus de superficialité sur ces scènes-là, Memories of murder, 2004). Le prêtre-vampire confond alors tous ses désirs dans la chair et jamais vampire au cinéma, à condition de ne pas trop tenir compte des marges du genre, n’aura assouvi ses pulsions débarrassé des métaphores habituelles (la canine pénétrant la jugulaire…).
Le personnage de Tae-Joo, séduisante et dérangée, nous incite à lier Thirst à la trilogie du réalisateur consacrée à la vengeance et inaugurée en 2003 avec Sympathy for Mr. Vengeance. Car Tae-Joo se venge bel et bien d’une famille qu’elle déteste et la place de ce motif est importante dans le récit. Pourtant Sang-Hyun punit la bête enragée dont il s’est épris et, pour la première fois chez Park Chan-wook, vengeance et salut s’opposent. La raison bride la sauvagerie libérée et le final offre une rédemption au prêtre. Virement de cap pour le Coréen ?
Scénario quelque peu alambiqué et dominant (ici l’inspiration est puisée dans Thérèse Raquin de Zola), mise en scène étudiée et faisant sens, beaux mouvements de caméra, le projet de Park Chan-wook ne va pas plus loin. Pourtant n’est-ce pas déjà suffisant ? Cela justifie-t-il des critiques assassines comme celles de Léo Soesanto (les Inrocks) ou de Stéphane Caillet (Critikat) ? Allons messieurs, laissez vous mordre ! D’autant plus si l’étalage technique du réalisateur et son style soi-disant pompeux sont selon les cadres et les scènes source de poésie (Sang-Hyun suspendu par les pieds à la façade d’une maison ou, en pleine course nocturne, rattrapant Tae-Joo, la soulevant doucement et la chaussant). Thirst nous désaltère de ses figures nouvelles et de son sang frais, communions mes frères !
* L’excellent Song Kang-Ho vu en 2003 dans Sympathy for Mr. Vengeance, ou pour Joon-ho Bong dans Memories of murder, 2004, et The host, 2006
** Dernièrement, le hasard nous a amené à voir un autre film qui considère le vampirisme comme une pathologie (La maison de Dracula, Erle C. Kenton, 1945).
Pour ma part j’ai bien aimé ce nouveau film abordant encore le thème si épris du vampirisme sous un nouvel angle, de façon à la fois originale, poétique et avec pas mal d’humour, noir et décalé. Par moment, mais sans trop le comparer non plus, cela m’a fait penser à Morse (Tomas Alfredson, 2008), dans l’art de mêler le fantastique et le côté très réaliste du quotidien. Quelques points communs entre ces films il est vrai. La scène finale, sans la révéler, est magnifique : un ballet entre la vie et la mort, l’immortalité et la mortalité au lever du jour dans un décor naturel superbe.