Richard Linklater, 2022 (États-Unis)
Qu’un gars de Houston fasse un film sur la conquête spatiale et les missions Apollo, ça paraissait pas aberrant. Qu’il raconte tout un pan de son enfance et de la culture de l’époque, de la part du gars qui a fait Génération rebelle (1993) et Boyhood (2014), on suit le truc à peu près. Ça commence avec fantaisie, un môme de la middle class s’imagine avoir été repéré par des agents de la NASA pour une mission tenue secrète, à savoir un départ sur la lune à bord d’un module fabriqué trop petit par erreur : ce sera la mission Apollo 10½. Plutôt amusant donc.
Le gamin, Stanley, est donc enrôlé fissa par la NASA et en pleine rotation dans la centrifugeuse à astronautes le récit fait machine arrière pour rapporter tout le contexte. L’ensemble est sympathique jusqu’à ce que le spectateur ait lentement mais sûrement de plus en plus envie de regarder sa montre… Une demie heure passée à raconter l’American way of life d’une banlieue pavillonnaire texane, ça commence à faire long. Tous les sujets sont passés, cuisine, musique, jeux… des batailles de la fratrie pour décider du programme télé à regarder aux punitions corporelles à l’école, de la guerre du Vietnam aux hippies qui effraient la mère… Et le tout en alternant avec le récit de la course aux étoiles entre États- Unis et URSS.
Le gros problème d’Apollo 10½ qui partait pourtant d’une jolie idée (les rêveries d’un môme qui a la tête dans l’espace avec garantie autobiographique) est de verser dans la seule énumération au style indirect (90 minutes de voix off sur 98 de film – Jack Black en vo, Christophe Lemoine en vf) ; même si on peut reconnaître au réalisateur d’avoir nourri de complexité l’histoire de ces années 1960 (par exemple, chose que je n’ai jamais vu dans les films qui portent sur le sujet : le rappel d’une opinion qui trouvait vaine et onéreuse cette politique de la conquête spatiale). Heureusement l’humour nous permet de ne pas complètement décrocher et quelques scènes également, celle de l’alunissage, d’entrer un peu en dans le délire de garçonnet…
De plus, la rotoscopie est une technique pas déplaisante du tout. L’animation joue avec la précision des images réellement tournées et apporte une fluidité d’ensemble à la fois étrange et belle (Richard Linklater l’utilise pour la troisième fois, après Waking Life, 2001, et A Scanner Darkly, 2006). On comprend bien qu’il s’agit de faire quelques économies en décors, mais ici la rotoscopie peut trouver une justification dans les errances de la mémoire de Stanley qui se raconte enfant. Linklater fait d’ailleurs allusion dans une ligne de dialogue aux souvenirs que l’on se fabrique. Stanley s’est endormi devant le téléviseur alors qu’Armstrong et Aldrin posent leurs pieds sur le sol lunaire. Et la mère fait à peu près cette remarque à son mari : « C’est pas bien grave. Tu sais comment marche la mémoire, il croira l’avoir vécu ».
C’est mieux que Bernadette a disparu (2019). Mais, si les thèmes chers à Linklater sont ici repris, (l’enfance, les évasions de la pensée, le temps passé…), la voix off incessante et l’écriture qui bien souvent ne se contente que de suivre un fil (on tourne les pages d’une encyclopédie) donnent rapidement ses limites au film. Bref, on n’a pas encore retrouvé avec Apollo 10½ le Richard Linklater qui nous fait vraiment décoller ; on n’a pas complètement passé un mauvais moment non plus.