Le silence de Lorna

Luc et Jean-Pierre Dardenne, 2008 (France, Belgique)

Prix du scénario au 61e festival de Cannes, Le silence de Lorna traite de manière réaliste du mariage blanc et de l’immigration. Lorna est albanaise, elle vit en Belgique et a pour ambition d’ouvrir un snack avec son petit ami Sokol. Pour y parvenir, elle trouve le moyen, aidée par une organisation mafieuse, de gagner vite beaucoup d’argent : un mariage en blanc pour obtenir la nationalité belge, éliminer le mari (un toxicomane choisi afin de pouvoir le tuer par overdose et ne pas attirer les soupçons) et se remarier avec un mafieux russe qui a lui aussi besoin de changer de nationalité. (Il y a tout de même une chose que je ne comprends pas, pourquoi le mafieux Russe n’a-t-il pas choisi de faire un mariage blanc directement avec une Belge ?)

Les rapports entre « le camé » (appelé ainsi avec mépris par Fabio qui fait le lien entre le mafieux et elle) et Lorna sont au départ froids et distants. On sent que cette dernière fait tout pour ne pas se lier à lui, cherchant à se préserver puisqu’elle sait ce qui l’attend. Mais voilà, Claudy arrive à décrocher et, après une cure de désintoxication à l’hôpital (les scènes de manque du jeune homme sont particulièrement éprouvantes), Lorna finit par croire qu’il pourra s’en sortir. Ainsi, pour le sauver, elle tente un divorce accéléré en déposant une fausse plainte pour coups et blessures. Elle ira jusqu’à s’infliger elle-même les coups pour y faire croire et ainsi éviter au toxicomane d’être tué : un sacrifice et un acte d’amour car elle culpabilise et ne supporte pas l’idée qu’il ne puisse pas avoir sa chance. Pour lui, elle renonce à 5000 € afin d’organiser le divorce, ce qui retarde le mariage avec le mafieux russe. Ses commanditaires, eux, ne voient pas bien sûr les choses de la même façon et ne se posent pas ces problèmes de conscience. Ils se moquent du « pauvre drogué », comme d’elle d’ailleurs…

Ici pas de sentimentalisme, d’effets de style ni de concessions grand public : à la manière de Gomorra (Garrone, 2008) ou Versailles (Schoeller, 2008), Le silence de Lorna a été tourné d’une façon qui colle au plus près à la réalité, dans un style dépouillé, dans une lumière crue. Les acteurs sont plus vrais que nature. Le jeu de l’actrice principale, Arta Dobroshi, est d’une incroyable justesse, tout comme celui de Jeremy Renier qui joue Claudy, le faux mari camé. Les frères Dardenne réalisent un film noir, au climat froid et inquiétant (inquiétude qui naît de la façon de filmer Lorna, en plans très rapprochés). Et pourtant, malgré tout le sordide qui parfois se ressent, transparaît aussi toute l’humanité des personnages et en premier lieu de Lorna, jeune femme ambiguë et magnifique.

 

3 commentaires à propos de “Le silence de Lorna”

  1. L’œuvre des Dardenne, Rosetta pour citer la Palme d’or de Cannes 1999 ou L’enfant sorti en 2005 et vu récemment, a pour singularité de traiter toujours crûment, sans artifice, des sujets très sociaux (comparable rien qu’en cela à Ken Loach ?).

    Avec ce que tu dis de Lorna, je pense aussi aux films de Fatih Akin, le beau Head on (Ours d’or de la Berlinale en 2004) et De l’autre côté (2007) qui traitent des relations entre Allemands et Turcs immigrés (le réalisateur est allemand, de parents turcs). Dans Head on, il est (aussi) question de mariage blanc et de marginaux en quête de liberté.

  2. Il s’agit bien d’un film noir ! L’absence quasi totale de musique (hormis les morceaux de rock qu’écoute Claudy et les quelques notes de piano sur le générique de fin) amplifie d’ailleurs la noirceur de cette œuvre.

    Petite explication à la question soulevée : le mafieux russe cherche simplement à devenir citoyen européen et ce par le biais de Fabio qui gère ce type de « transaction » en Belgique et propose par là même des « candidates ». Alors pourquoi Lorna et pas une vraie Belge ? C’est un « deal » entre Fabio et Lorna, cette dernière cherchant à gagner un maximum d’argent en un minimum de temps de manière à ouvrir avec Sokol (qui dans un même but effectue des travaux dangereux dans le nucléaire en Allemagne) leur snack. Fabio fait d’une pierre deux coups.

    Mais au risque de nous répéter, quelle noirceur !

  3. Oui mais en fait Fabio aurait fait des économies (et un gain de temps) en choisissant directement une citoyenne belge (aussi pommée que le junkie par exemple), non ?! Je suis peut-être tatillon, mais je trouve qu’il y a une légère faiblesse de ce côté-là ; sinon oui : noir c’est noir…

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