Lucas Belvaux, 2001 (France, Belgique)
Tout part d’une idée : faire des personnages secondaires les personnages principaux. Un couple épatant Cavale Après la vie, trois films dans lesquels les personnages secondaires d’une histoire deviennent les acteurs principaux d’une autre et inversement. Catherine Frot, Ornella Muti, Dominique Blanc, Gilbert Melki, François Morel et Lucas Belvaux jouent ainsi presque tous dans les trois films. L’espace est le même, Grenoble, le temps du récit est le même, quelques jours. Seuls les genres cinématographiques diffèrent. Cavale est un polar.
Isolé de l’ensemble, le segment est toutefois loin de captiver. Alors qu’il se décide à jouer le rôle du terroriste par obligation après un désistement, Belvaux acteur est approximatif. La musique est sans intérêt. Les lieux communs du genre sans attrait (les filatures, les fusillades, le flingue monté et démonté les yeux fermés, etc.). Le rythme absent (le jeu des acteurs et leurs échanges ayant été privilégiés au montage). Le réalisateur avoue même ne pas avoir été motivé par le thème du film policier, seulement par la traque : un homme fuit la mort et cavale pour ses idées.
Donc le film n’intéresse pas mais le personnage, si. Bruno (Belvaux) s’évade de prison. Terroriste de la révolution prolétarienne, il mène ses propres actions pour se faire entendre et libérer ses anciens camarades. Le malfrat présenté, il faut préciser que ce ne sont pas non plus ses revendications politiques ni ses engagements qui retiennent notre attention mais plutôt ses relations possibles avec les autres personnages. Il y a des années, il aurait pu vivre avec Jeanne (Frot), une ancienne militante qui s’est rangée. Puis le hasard le place aux côtés d’Agnès (Blanc), la toxicomane et femme d’un flic (Melki). Son passé se dessine, son avenir s’imagine. Au présent, il court, se cache et fuit à nouveau.
La véritable réussite du projet est alors dans le hors champ. Chaque film est un segment de vies et les trois s’éclairent mutuellement. Ils trompent sur les personnages, n’en livrent qu’un bout, qu’une attitude ; l’impression laissée sera peut-être corrigée avec le changement de point de vue du film suivant. Chaque partie constitue ainsi un hors champ pour les deux autres. Par ailleurs, le spectateur prolonge ces récits, construit sa propre relation aux personnages, fait marche arrière quand une scène déjà vue est abordée sous une autre perspective. En définitive, en dépit des imperfections, à condition de dépasser la simple vision d’un segment, le spectateur finit tant bien que mal par s’approprier le projet.
Ah, moi, j’aime beaucoup la trilogie de Belvaux, notamment cette partie-là. Comme cela commence à faire un sacré bout de temps, j’aurai du mal à débattre en détail. Mais je sais que le jugement peut dépendre des conditions et de l’ordre que l’on choisit. J’avais suivi celui de la phrase que donne les trois titres mis ensemble, mais je ne me souviens plus si ils étaient sortis en salles séparément ou pas : donc Un couple épatant en premier et finalement, j’avais trouvé que c’était le moins réussi. Mais le plus important en fait, est là : le résultat final est plus grand que la simple somme des trois parties. Elles s’enrichissent sans cesse. C’était un très beau projet que Belvaux a mené à bien.
En France, Un couple épatant est sorti avant, les deux autres la semaine suivante (en 2003 alors que les films sont tournés en 2001 -intervalle long en raison du montage ?-).
Erwan Higuinen qui signe la critique dans Les cahiers (n°575, janv 2003) écrit que l’ordre théorique est bien Un couple épatant Cavale Après la vie mais qu’un autre ordre est tout autant envisageable, seulement cela « revient à peu près à entrer par une fenêtre ou à rôder dans le jardin plutôt qu’à passer par la porte de la trilogie ». Je suis passé par la fenêtre.
Il me reste Après la vie à découvrir. Contrairement à toi, et si l’on considère un instant le projet seulement par segments, j’ai préféré la comédie au polar. J’attends donc de découvrir le mélo, des personnages qui n’étaient jusqu’à présent que secondaires et surtout un autre hors champ.
Merci de me rafraîchir la mémoire.
Pour cette histoire de préférence de segment, je pense qu’au fur et à mesure de la découverte de chacun, j’aimais ça de plus en plus en fait, d’où ma propre hiérarchie que se calque sur l’ordre.
PS : Au fait, Benjamin, puisque je vois que tu as au moins des Cahiers sous le coude, ça ne te dirait pas une petite contribution à mon « projet couvertures » en cours ? 🙂