Lucy Walker, 2010 (Brésil, Royaume-Uni)
Le générique aligne une liste vertigineuse de récompenses [1] dont la pertinence est remise en question par le nom de l’artiste électro à qui a été confié la musique et par la piètre comparaison que l’on suppose celle d’un producteur qui a à tout prix voulu aguicher le chaland. Passons sur Moby, qui crée une ambiance convenable après tout, même si apporter un éclairage sur un groupe de trieurs de déchets d’un pays du Sud émergent avec les choix musicaux d’une pop-star new-yorkaise déséquilibre dangereusement la démarche. L’autre maladresse est plus difficile à évacuer et le « Slumdog millionaire du documentaire » va nous rester en tête durant tout le reportage.
Lucy Walker suit l’artiste brésilien Vik Muniz durant trois années et met en images un projet artistique et humanitaire qui s’intéresse aux « catadores » de Jardim Gramacho, banlieue nord de Rio. Dans cette vaste décharge à ciel ouvert [2], plutôt que de vivre de la drogue ou de la prostitution, les catadores se résignent à ramasser les déchets que différentes entreprises de recyclage rachèteront.
Habituellement Muniz crée des illusions [3], cette fois à partir d’ordures ménagères. Il se joue donc de l’optique, à l’instar des impressionnistes ou, pour citer une contemporaine, de Corinne Wasmuht. Arcimboldo n’est pas non plus très loin. Pour expliquer sa démarche, Vik Muniz rappelle l’attitude des spectateurs face aux œuvres : au plus près le nez sur la matière, puis en retrait estimant la peinture à distance, ou l’inverse.
C’est également de cette façon que l’on appréhende le film de Walker. Au plus près, le film a un aspect social fort puisqu’il dresse le portrait d’une poignée de catadores dont Tiao Santos, intrépide fondateur et président du syndicat des catadores de Jardim Gramacho (ACAMJG), ou Irma, vieille cuisinière au milieu de la décharge… D’abord, l’art de Muniz permet à ces trieurs de prendre de la distance et d’échapper à leur quotidien au milieu des immondices. Ensuite, très naïf, l’artiste pose la question de l’impact de la démarche artistique sur ces hommes et ces femmes des bidonvilles : galeries d’art, vente aux enchères, exposition médiatique… Heureusement, moins profiteur que Boyle, Muniz réserve aux catadores tout l’argent gagné grâce à la vente des Pictures of garbage. De plus, Lucy Walker prend soin de ne jamais faire de belles images lorsqu’elle survole Rio et ses emblèmes touristiques (absence de netteté, grain de l’image), contrairement à Boyle qui plonge dans la carte postale.
Waste land donne alors envie de croire au rôle que l’art peut avoir (dénonciation des inégalités Nord-Sud, sublimation de la matière, élévation des esprits), tout autant qu’il questionne les maladresses d’un engagement cinématographique. Avec davantage de recul encore, on regrette pourtant le portrait géant de l’artiste généreux qui s’en dégage et l’ombre faite aux intentions premières.
[1] Parmi lesquelles de nombreux prix du public (à Sundance, Berlin, Maui, etc.), mais aussi celui d’Amnesty International décerné lors de la 60ème Berlinale.
[2] On pense à L’île aux fleurs de Jorge Furtado, 1989.
[3] En 1996, il fait fait une série de portraits en sucre d’enfants de travailleurs dans les plantations de canne à sucre aux Antilles. En 2004, il s’applique à une série de portraits d’actrices en diamants (Elizabeth Taylor, Monica Vitti, Romy Schneider…). L’année suivante il conçoit des reproductions monumentales de chefs-d’œuvre de Monet et Gauguin avec de grandes quantités de pigment coloré.