Benoît Jacquot, 2009 (France)
Tout commence un soir de pluie dans la banlieue parisienne. Ann (Isabelle Huppert), le teint pâle et le visage défait, suit son mari jusqu’à un pavillon où elle le surprend en train d’en embrasser une autre. Puis, brusquement, elle décide de tout quitter : Thomas (Xavier Beauvois), son époux infidèle, sa maison, son métier (elle est une pianiste reconnue), son pays… Une fuite brutale. L’envie de changer radicalement de vie. D’effacer toute trace derrière elle pour affronter la solitude et faire face à son destin. Plus rien ni personne ne semble pouvoir la retenir et Ann semble prendre goût au fait de pouvoir dire simplement « non » à tout ce qui ne lui convient pas, sans avoir à s’en expliquer pour autant.
Au-delà de la tromperie de son mari, le spectateur devine qu’elle a accumulé au fil des ans des non-dits terribles et des secrets de famille qui pèsent lourdement sur ses épaules : celui de la mort à moitié dévoilée de son petit frère survenue alors qu’il n’avait que six ans, celui de l’absence de son père, parti très tôt et dont elle reproduit inconsciemment le schéma de fuite. Lors de l’enterrement de sa mère, le curé dit une phrase du genre « la mort fait place à la vie ». En effet, la mort et la vie, la perte et les retrouvailles se succèdent à plusieurs reprises. Lorsqu’elle découvre que son mari la trompe, elle croise au même moment Georges (joué par un Jean-Hugues Anglade nettement plus convaincant que Xavier Beauvois, très fade), un ami d’enfance qu’elle avait perdu de vue et qui devient son unique confident. Quand sa mère disparaît, c’est son père qui réapparaît. Ann semble d’ailleurs toujours confuse quand la mort est évoquée et, quand Georges lui apprend le décès de sa mère (à lui) et plus tard celui de son compagnon, elle s’excuse en guise de condoléances. Idem lorsqu’elle tombe sous le charme de la villa Amalia qui donne son nom au métrage, en discutant avec la vieille italienne qui lui apprend l’histoire de la villa, construite pour sa nièce trop tôt disparue, de même que son père. Les images d’une radio cérébrale furtivement présentées montrant une grosse tumeur indiquent que les jours d’Ann sont comptés…
Filmé du point de vue d’Ann, ce sentiment de malaise, d’angoisse permanente, est très bien restitué dans l’inquiétante musique de Bruno Coulais… Des notes de piano dissonantes accentuent cette impression de mal-être, celui d’Ann… Et le nôtre. C’est surtout l’absence de musique qui, sur certains passages, sont particulièrement pesants. De plus, pour exprimer la profonde solitude, liée étroitement au sentiment de liberté, quoi de mieux que le fameux O Solitude de Purcell…
Isabelle Huppert (dont c’est le cinquième film avec Benoît Jacquot), insaisissable, s’est totalement accaparée ce rôle et on la sent entièrement investie dans la révolution intérieure, presque suicidaire, de son personnage. Elle est tout simplement bouleversante. Le ton est sec, dur, austère et pas sentimental pour un sou. Malgré l’absence volontaire de réelle conclusion, puisque Ann n’a pas encore trouvée la paix intérieure, Villa Amalia (l’adaptation du roman de Pascal Quignard, un proche du réalisateur) est un voyage à la fois beau et douloureux.
Oui, ce film est sombre, déprimant même, et ce quel que soit le côté par lequel on tente de l’analyser (musique, images, dialogues…), même le soleil des côtes napolitaines (on aperçoit furtivement quelques rues de cette ville si particulière et de l’île d’Ischia) n’arrive pas à réchauffer l’atmosphère.
Pour ma part, Isabelle Huppert joue effectivement admirablement le rôle d’Ann, comme cela a été souligné. Le décalage est d’ailleurs saisissant avec les autres personnages de ce film, Jean Hugues Anglade et surtout Xavier Beauvois sont ternes.
Je n’ai pas lu le livre éponyme de Pascal Quignard mais je trouve que le scénario manque de fluidité. Certains passages comme le périple européen d’Ann (Belgique-Allemagne-Suisse-Italie) ont été certainement conservés pour coller au roman mais une fois sur pellicule on peut se poser la question de l’utilité. Un exemple : Ann traversant les Alpes en chaussures de randonnée et sac à dos de loisirs… c’est peu crédible. Cela souligne toute la difficulté dans l’adaptation d’une œuvre littéraire.
Pour conclure un film très moyen.
Le passage de la traversée des Alpes est l’occasion de saisir quelques plans de l’actrice dans un paysage enneigé et la blancheur immaculée de la neige rappelle celle de la naissance, du commencement, ou dans son cas du recommencement. Les brefs inserts qui montrent Ann en train de nager à la piscine vont aussi dans ce sens, l’eau qui purifie et qui lave, ici sa vie passée. Comme elle a tout de même du mal à se défaire de son passé, elle nage avec peine (gros effort et forte inspiration…).
Joli film, mystérieux et convaincant.