The disaster artist

James Franco, 2018 (Etats-Unis)

Peut-on réaliser un grand film (ou même un bon film, restons raisonnables) sur un mauvais film ? Question épineuse à laquelle Tim Burton avait déjà tenté de répondre partiellement dans Ed Wood (1994), mais alors que le réalisateur américain avait quelque peu idéalisé son sujet, James Franco se montre plus pragmatique. The disaster artist c’est donc l’histoire à la fois drôle et pathétique de Tommy Wiseau, réalisateur génialement frappadingue de ce que d’aucuns considèrent comme le plus grand nanar de tous les temps : The room. Tout classement a évidemment ses limites, et bien qu’à titre personnel j’aie un léger faible pour Turkish Starwars, il faut bien avouer que The room envoie du lourd. Sorti confidentiellement en 2003 (il ne fut programmé que dans une seule salle, à Los Angeles, et rapporta 1800 dollars de recette après deux semaines d’exploitation alors qu’il avait coûté 6 millions), le film aurait pu sombrer dans l’oubli, comme tant d’autres longs métrages de seconde zone, mais sa nullité confinait tellement au génie qu’il connut un autre destin. Scénario en carton, production catastrophique, réalisation déplorable, montage sans queue ni tête… The room réunit toutes les tares possibles et inimaginables du mauvais cinéma et il n’en fallait pas moins pour lui conférer le statut d’œuvre culte. Le plus étonnant dans cette affaire, c’est qu’au bout de quinze ans, le film a fini par devenir bénéficiaire, accumulant les projections publiques à travers la planète, devenues rendez-vous incontournables pour tous les amateurs de nanars qui se respectent. N’oublions pas qu’un nanar ne se déguste pas seul affalé dans le canapé de son salon, mais de manière collective, car l’effet de groupe est dans ce cas de figure fondamental (ambiance stade de foot assurée : lancer d’objets, phrases cultes reprises en cœur, pancartes, t-shirts, applaudissements nourris…). Mais si le film connut un destin aussi spectaculaire, il le doit autant à ses carences formelles, qu’à la personnalité assez fascinante de son réalisateur.

De Tommy Wiseau on ne sait rien ou presque tant l’homme cultive son personnage d’artiste étrange et fantasque. Silhouette inquiétante au visage buriné et au look metal-gothique franchement douteux, Tommy Wiseau fait l’objet des supputations les plus folles, sa vie personnelle restant un mystère. Lui revendique des racines louisianaise, alors que son accent trahit davantage des origines d’Europe de l’Est (polonaises probablement), il aurait même fait un bref séjour en France, comme plongeur, avant d’atterrir à San Francisco où il aurait exercé de multiples métiers. Mais l’énigme la plus insondable concerne son incroyable fortune, dont on ne connaît pas l’origine et qui lui permit de financer intégralement son film (la bagatelle de 6 millions de dollars tout de même). Un mystère auquel le film n’apporte d’ailleurs aucun éclairage nouveau, voire alimente la légende (“un puits sans fond” annonce un banquier à la question d’un des créancier de Tommy Wiseau, venu encaisser un chèque). Entièrement bâti sur le récit de Greg Sestero, ami et collaborateur de Tommy Wiseau (et accessoirement second rôle dans The room), The disaster artist finit par reléguer ces questions secondaires à l’arrière-plan, se concentrant sur deux fils intimement liés : l’amitié improbable entre Tommy Wiseau et Greg Sestero et la folie créatrice qui donna lieu à cette monstruosité cinématographique qu’est The room, enfantée dans la douleur, offrant aux yeux de tous sa niaiserie crasse et l’incompétence flagrante de son réalisateur. C’est cette dimension qui donne au film de James Franco tout son relief et participe grandement à sa réussite. The disaster artist transcende le biopic et se veut tout autant une ode à la folie créatrice qu’une réflexion sur l’engagement artistique, total et entier, d’un être qui se donne corps et âme pour réaliser son rêve. C’est à la fois beau et profondément pathétique. En se questionnant sans cesse sur la notion d’engagement artistique, le film dépasse le simple mimétisme (le générique comporte une succession de plans comparés assez saisissante) et rejoint les propos du Ed Wood de Tim Burton. Dernier point et non des moindres, le film repose en grande partie sur l’interprétation de James Franco, qui incarne un Tommy Wiseau absolument époustouflant (Golden Globe entièrement mérité), l’acteur étant littéralement habité par son personnage, surjouant à bon escient tout en restant crédible. Belle performance !

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