Lawrence Ah-Mon, 2000 (Hong Kong)
SEXE, MENSONGES ET CINÉMA
Dans Spacked out, Lawrence Ah-Mon brosse un portrait jubilatoire d’une jeunesse hongkongaise en manque de repères. Un film politiquement incorrect.
Quatre adolescentes et leurs aventures innocentes : un énième teen movie. En apparence, seulement. Comme un Laurent Baffy précisant « N’y allez pas, c’est une merde » sur l’affiche de son film, Lawrence Ah-Mon aurait pu signaler de la même façon l’absence totale de moralité qui règne tout au long de Spacked out. Mais ce serait sans compter la perversité du Hongkongais, pas le dernier à malmener son public.
Au Festival des 3 Continents, la première projection de cette production Milkyway n’a attiré qu’une dizaine de spectateurs dans la salle et plusieurs ont quitté la séance avant la fin. Après ou avant qu’une des quatre gamines ne se scarifie à côté d’un cadavre, ou qu’elle retrouve ses acolytes dans le bus pour déblatérer sperme et porno. Un déluge d’insanités sur les oreilles chastes des Nantais, surpris. Mal accueilli par la censure à sa sortie, le film a d’ailleurs reçu l’étiquette réservée aux œuvres les plus choquantes, « catégorie 3 », l’interdisant aux moins de 18 ans à Hong Kong.
La jeunesse hongkongaise, ce n’est plus ce que c’était. Avant la séance, on s’imaginait les ados en train de courir les boutiques du centre-ville sans trop d’arrière-pensées. La réalité que dépeint Lawrence Ah-Mon est tout autre. Quand les héroïnes de 16 ans divaguent dans le quartier commerçant, c’est pour poser devant l’œil de photographes aux intentions trop floues pour êtres honnêtes. Le reste du temps, elles traînent au pied de leurs immeubles, dans des rues populaires à l’écart de la baie. Ces histoires d’un soir se succèdent à un rythme infernal. Elles se vantent de leurs relations non protégées. Après tout, à cet âge-là, on n’a peur de rien. À trop vouloir jouer les malignes, les quatre copines se perdent à leur propre jeu et referment derrière elles les portes de l’enfer. Deux des filles, Sissy et Pâte de soja, vivent une tumultueuse liaison lesbienne pendant que leurs amies Banane et Cookie les entraînent chaque nuit dans des soirées toujours plus glauques. Une plongée dans le Hong Kong interdit, celui qu’on ne voit nulle part ailleurs.
Cookie tombe enceinte. L’accident bête. Ni une, ni deux, ses copines l’incitent à avorter, quitte à y laisser leurs comptes en banque et à se livrer à quelques larcins dont elles ont le secret. Le réalisateur observe leur amitié de très près, petite caméra au poing, façon documentaire. Visions hallucinées ou réalité, on hésite encore. À l’écran, ces visions se traduisent par des images floues et des lumières lancinantes, sur fond de musique techno, rappelant l’univers d’Enter the void de Gaspard Noé (2009). L’histoire tourne mal, le réfrigérateur cache des poupées, la fin de soirée révèle les désespoirs les plus profonds. Des trous béants dans le cœur de teenagers à la recherche d’amour fougueux. L’absence de toute autorité parentale n’arrange rien, la jeunesse hongkongaise est nue, sans repères, elle devient vicieuse.
Lawrence Ah-Mon capte ces moments de vie avec toute l’intimité requise, se faufilant avec brio entre les actrices, qui mènent ici leur première expérience à l’écran. Un bad trip dont on ne sort pas indemne. Spacked out revendique l’héritage laissé par Kids de Larry Clark (1995) pour sa dépravation, et Paranoid Park de Gus Van Sant (2007) pour sa délinquance juvénile. Si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à aller en Corée du Nord.
Vincent Poisson pour la 34e édition du Festival des 3 Continents